«Anéantir» de Michel Houellebecq: un roman inclassable d'un réel ennui – Bible urbaine

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«Anéantir» de Michel Houellebecq: un roman inclassable d’un réel ennui

«Anéantir» de Michel Houellebecq: un roman inclassable d’un réel ennui

Ou l’art de nous faire perdre un temps précieux (la vie est si courte!)

Publié le 2 mai 2022 par Éric Dumais

Crédit photo : Tous droits réservés @ Éditions Flammarion

J’ai longuement hésité avant d’ouvrir le huitième roman de Michel Houellebecq, avec lequel j’étais resté en assez bons termes au tournant des années 2000 avec l'excellent «Plateforme». C’est que notre séparation s’est fait – en bons termes, cela dit – après l’ennuyeux «La possibilité d’une île», paru en 2005. Je me doute bien que ce qui m’a convaincu de lui donner une seconde chance, à cet «Anéantir», c’est sa fière allure d’Évangile: une couverture rigide et épurée, décorée d’un ruban signet du même rouge que celui du titre, ce même rouge sang qui symbolise depuis la nuit des temps la souffrance humaine, notamment celle du Christ sur sa croix. Après tout, qu’avais-je à perdre? Du temps, tout simplement. Celui que je regretterai sûrement, un jour, et comme son protagoniste, lorsque mon heure sera venue moi aussi et que je me souviendrai de cette lecture qui m'a profondément ennuyé.

Un plaisir de lecture? Pas tellement!

Je préfère être franc avec vous: Houellebecq, avec ce récit qui se déroule durant l’élection présidentielle du printemps en France, parle de la maladie, des souffrances qui en découlent et de la mort qui s’ensuit, qu’elle vienne à petit feu, qu’elle soit volontaire ou qu’elle frappe de plein fouet, comme c’est le cas pour Paul Raison, le protagoniste de cette histoire.

Non, cette lecture ne va pas alléger le poids de cet étau qui vous serre le ventre au quotidien.

Bien au contraire, l’auteur se plaît même à maintes reprises à faire des allusions au difficile mais nécessaire Lambeau de Philippe Lançon, publié chez Gallimard, rare survivant de la boucherie qui a secoué le monde entier et les nombreux admirateurs de Charlie Hebdo.

Houellebecq a bien beau lancer des fleurs à ce sublime ouvrage: son livre est loin d’être aussi marquant.

Avec Anéantir, l’écrivain, poète et essayiste français, qui semble devenir de plus en plus aigri avec l’âge, à l’instar d’une fleur en manque d’amour, nous entraîne dans l’existence d’une famille aux prises avec la maladie du patriarche, qui n’est au final – et il vous faudra une bonne dose de temps et de courage pour vous rendre à cette évidence – qu’un prétexte pour mettre en scène la mort qui guette tout un chacun et qui illustre, par le fait même, le caractère inéluctable du temps qui passe et de la vie qui s’écoule comme les grains d’un sablier renversé.

Un fil narratif aussi décousu qu’un mauvais rêve

Ainsi, j’ai fait mon entrée dans cette histoire d’une lenteur déconcertante, sans trop de repères, avec une visite succincte de la Ville lumière, dans un futur pas si lointain du mien (on est ici plongé en 2027), sans trop savoir comment j’en suis arrivé là.

Car bien vite, rien ne va plus: l’un des personnages secondaires – Bruno Juge, le ministre de l’Économie et des Finances –, pour lequel travaille Paul Raison à titre de conseiller, est la «mascotte» d’un canular drôlement réaliste où des terroristes, si on peut les appeler ainsi, ont mis en scène sa propre mort en guise de sérieuse menace.

Même si cette vidéo en apparence anodine – mais à quel point? – jette une ombre menaçante sur ce récit, on en vient à vite l’oublier, tellement elle devient accessoire au fil des chapitres, comme si les péripéties – le terme est peut-être un peu fort ici – s’enchaînent, sans réelle cohérence, comme lorsqu’on se réveille d’un mauvais rêve et qu’on tente d’assembler les différents fragments, en vain.

Bien sûr, je ne me suis pas avoué vaincu et j’ai redoublé d’efforts pour entrevoir une suite logique à cette histoire que j’ai toujours de la misère à définir.

Est-ce un thriller politique? Un roman d’espionnage raté? Une adaptation pauvre de House of Cards en version française? Un livre sur le caractère inéluctable de la vie? Honnêtement, je n’en ai aucune idée.

Photo: page Facebook des Éditions Flammarion

Misogyne en plus, ce Houellebecq!

Comme si ce n’était pas assez, Michel Houellebecq, comme pour faire exprès, a eu la belle idée de se lâcher lousse et de «cracher» sur ses personnages féminins qui ont évidemment, à travers ce récit, les personnalités les plus exécrables et misérables qui soit, à l’image de l’opinion que l’auteur se fait d’elles, j’imagine?

Ainsi, mes yeux se sont agrandis d’ébahissement face aux propos misogynes que l’auteur a lancés ici et là avec une plume qui, je m’excuse pour l’expression, «pète plus haut que le trou». Je vous cite quelques exemples pour qu’on soit au diapason, vous et moi: «Comme toutes les putes, elle ne choisissait pas ses clients» (là, c’est de la mort qu’il parle…) Ce n’est pas tout: «Cette salope avait une certaine agilité de plume comme on dit». Encore un? «Elle était suffisamment conne pour avoir formé cette hypothèse».

Ça donne le ton, n’est-ce pas? Et non, aucun personnage masculin ne subit pareil traitement, si c’était ça votre question.

Cela dit, la plume de Houellebecq a bien beau être exercée par des décennies d’écriture, et chacune de ses parutions a bien beau créer un engouement, il n’en reste pas moins que cet Anéantir est d’un réel ennui et qu’il ne mérite pas tout ce tapage médiatique.

Heureusement, on en sort indemne, mais pas plus évolué.

En 2022, il est inconcevable qu’en littérature des propos aussi personnels, transparents et haineux soient proférés, et peu importe si l’ouvrage en question est une œuvre de fiction comme celle-ci. Ce n’est pas normal que la femme soit par moments décrite comme une «bourgeoise à la con» ou comme «une médiocre […], responsable de la médiocrité du monde […]». Désolé d’en rajouter une couche.

Avouez que ça n’a pas de bon sens? Ce n’est même pas drôle. C’est juste gratuit.

Je ne sais pas comment j’ai fait, mais au fil des pages, j’ai réussi à faire fi de ces passages où l’auteur m’apparaissait comme l’être le plus détestable qui soit et j’ai réalisé que je m’étais presque pris de sympathie pour la famille Raison, comme si j’avais enfin trouvé un rythme de lecture (et un sens) à cette histoire.

En effet, ces derniers se rendent jour après jour au chevet d’Édouard, leur père plongé dans le coma à la suite d’un accident cérébral.

À ce moment seulement, j’ai pensé que l’histoire adopterait une tournure plus personnelle, plus intimiste, centrée sur les aléas d’une famille pas très tricotée serrée et qui allait bientôt se disputer un héritage, mais hélas: on assiste plutôt à l’effritement de l’existence humaine au cœur d’une narration qui semble s’être égarée en chemin, où la maladie, cruelle et imbattable, sort victorieuse, comme pour nous rappeler qu’elle est plus forte que nous.

Tout ça pour… ça?

Tout compte fait, il est possible que ma séparation avec Michel Houellebecq soit définitive cette fois. Ce livre, qui m’apparaît plus comme un beau livre-objet «100% marketing», a bien réussi à «anéantir» le peu d’affection qu’il me restait pour l’auteur…

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