Littérature
Crédit photo : Lux Éditeur
Partager un repas avec un pur inconnu, ouvrir les portes de sa maison à un voyageur, arrondir ses fins de mois en faisant quelques tâches ménagères ou trajets en voiture… C’est le rêve que vendent les chantres de l’économie du partage. Attention, lance toutefois l’écrivain spécialisé en technologies Tom Slee, il s’agit d’un mirage. Alors qu’on croit contribuer à une communauté égalitaire et sans but pécuniaire, ces communautés souvent très technologiques se transforment en monstres capitalistes qui perdent leur âme dans leur quête de croissance dopée à l’injection de millions de dollars.
Né d’un «sentiment de trahison» de l’auteur, cet essai présente une synthèse convaincante des arguments contre le mirage de «l’économie du partage». Les guillemets sont bien appropriés, car bien qu’on continue d’utiliser ce terme, ce genre d’échange ou de commerce n’a plus rien à voir avec la notion de partage originelle. Ce qui était souvent au départ une rencontre sans attentes entre deux inconnus ouverts d’esprit se transforme en une pure transaction commerciale désincarnée. C’est ainsi qu’on peut louer un appartement à Rome sans même rencontrer le propriétaire, qui habite à l’autre bout du monde.
Appuyé par quantités de statistiques, Ce qui est à toi est à moi est convaincant, difficilement attaquable même sur certains points, mais il est loin de soulever les passions qu’il devrait soulever. Alors que le débat sur la réglementation d’Uber ou la location d’appartements sur Airbnb fait rage dans nombre de villes et de pays partout dans le monde, on lit cet essai avec un peu trop de détachement. La distance émotionnelle que réussit à prendre l’auteur est certes un atout, mais il ne transmet aucune passion au lecteur. On a l’impression que ce débat se passe loin de nous et ne nous concerne pas, alors que l’économie mondialisée enchaîne pourtant la planète dans une même logique marchande.
La première partie de l’essai est d’ailleurs assez longue, recensant les torts des plateformes de «l’économie du partage» les plus en vues, comme Uber, Airbnb et Handy. Le véritable intérêt de cet essai n’émerge qu’après une centaine de pages, lorsque Tom Slee détaille sa réflexion sur la notion de confiance érodée dans nos sociétés et la perte des «communs», ces lieux ou communautés qui appartiennent à tous. En décortiquant comment ces communautés au départ pleines de bonnes volontés se transforment en perdant de vue leur but premier, on devient plus critiques faces à leurs promesses. On se perd par contre dans son exposé sur les données ouvertes.
Il s’agit somme tout d’un essai rationnel, très bien argumenté, mais peu enlevant. Il donnera assurément des munitions aux pourfendeurs de «l’économie du partage», à défaut de mobiliser lui-même.
Ce qui est à toi est à moi: Contre Airbnb, Uber et autres avatars de l’«économie du partage» de Tom Slee, Lux Éditeur, 280 pages, 24,95 $.
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de la rédaction