Littérature
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Toutefois, bien qu’il y ait une certaine prise de conscience à travers le monde et que le racisme est discuté avec plus d’attention, il reste encore beaucoup de chemin à faire! Comme l’affirment plusieurs associations de lutte contre le racisme, de même qu’une foule d’activistes et de militant(e)s sur les réseaux sociaux, l’une des premières choses à faire, c’est de prendre le temps de s’informer!
Encore aujourd’hui, il y a une foule d’articles qui circulent en ligne et qui proposent des œuvres pour mieux comprendre les enjeux et les débats derrière cette idéologie. Je vous ai préparé une liste d’essais couvrant plusieurs aspects afin de vous guider dans votre apprentissage. Bonnes découvertes!
Pour lire un classique: «The Fire Next Time» de James Baldwin
Parue en 1963, l’œuvre de James Baldwin est un incontournable pour mieux comprendre les bases du mouvement américain pour les droits civiques. Ce dernier demande à tous les Américains de s’attaquer au terrible héritage du racisme avec une voix puissante qui résonne encore de nos jours.
À la fois une évocation troublante de la jeunesse de l’auteur à Harlem et une analyse implacable des conséquences de l’injustice raciale, ce livre témoigne d’un esprit révolutionnaire et provocateur pour son temps. L’œuvre est composée de deux essais; le premier, My Dungeon Shook: Letter to my Nephew on the One Hundredth Anniversary of the Emancipation, est une lettre adressée à son neveu dans laquelle il démontre comment le pouvoir de la société blanche est ravageur pour les personnes de couleur et où il lui demande de «convertir» sa colère en une vision passionnée et large de l’expérience afro-américaine.
Le deuxième essai, intitulé Down At The Cross, aborde le détriment du christianisme dans sa vie personnelle et dans la communauté noire de Harlem. Il aborde son parcours en tant que jeune pasteur, qui a finalement abandonné complètement la religion, qui représentait pour lui une répression totale de son expérience en tant qu’homme noir considéré, à son époque, comme une abomination.
C’est en soi une œuvre poétique, grandiose et qui est malheureusement encore trop d’actualité.
«Please try to remember that what they believe, as well as what they do and cause you to endure does not testify to your inferiority, but to their inhumanity».
Pour les débutants: «So You Want To Talk About Race?» de Ijeoma Oluo
Dans ce livre très accessible, Ijeoma Oluo démystifie la réalité complexe du concept de «race» dans notre société d’aujourd’hui – des privilèges blancs et la brutalité policière au racisme systémique jusqu’au mouvement Black Lives Matter – tout en offrant l’éclairage direct et sans flafla dont les lecteurs ont besoin pour mieux comprendre les enjeux pour les aider à contribuer directement au démantèlement de la fracture raciale.
Cette œuvre peut être lue et comprise par toute personne s’intéressant à ce phénomène. Il s’agit d’un outil précieux pour celles et ceux qui veulent éviter de faire des erreurs en devenant plus actif dans la lutte contre le racisme, car l’auteure nous met en garde contre les nombreux angles morts qui sont difficiles à repérer lorsqu’on n’a jamais vécu de discrimination. Ce livre, dont la portée est presque académique, est vraiment bien conçu, à la façon d’un abécédaire des injustices raciales et ses innombrables manifestations.
«To refuse to listen to someone’s cries for justice and equality until the request comes in a language you feel comfortable with is a way of asserting your dominance over them in the situation.»
Pour mieux comprendre le privilège blanc: «Why I’m No Longer Talking To White People About Race» de Reni Eddo-Lodge
En 2014, la journaliste Reni Eddo-Logde a exprimé sa frustration face à la manière dont les discussions sur le racisme étaient menées en Angleterre à ceux qui n’en vivaient jamais au quotidien. Elle a publié sur son blogue un article intitulé Why I’m No Longer Talking To White People About Race, ce qui a conduit rapidement à la parution de ce livre que je vous recommande fortement.
Elle explore ici une foule de sujets, comme l’éradication de l’histoire des Noirs au profit de l’histoire des Blancs pour assurer leur domination, le mouvement féministe qui ignore la réalité des femmes noires, le lien inextricable entre classe et race, et bien plus. Eddo-Lodge offre un cadre essentiel pour comprendre, voir et reconnaître les rouages racistes de notre société et le privilège inhérent qui vient avec le fait d’être né blanc. Une exploration éclairante et absolument nécessaire!
«When I talk about white privilege, I don’t mean that white people have it easy, that they’ve never struggled, or that they’ve never lived in poverty. But white privilege is the fact that if you’re white, your race will almost certainly positively impact your life’s trajectory in some way. And you probably won’t even notice it.»
Pour mieux comprendre l’évolution du mouvement Black Lives Matter: «They Can’t Kill Us All: Ferguson, Baltimore, And A New Era In America’s Racial Justice Movement» de Wesley Lowery
Menant des centaines d’entrevues pendant plus d’un an de reportages sur le terrain, le journaliste du Washington Post, Wesley Lowery, a voyagé partout sur le continent américain afin de mettre en lumière la vie dans les recoins les plus négligés et affligés en Amérique, qui récolte la Palme du plus haut taux de brutalité policière de nos jours.
Dans un effort pour saisir l’ampleur de la réponse à la mort de Michael Brown (un jeune homme âgé de 18 ans qui a été tué par la police, en 2014, alors qu’il n’était pas armé) et comprendre l’ampleur du problème que représente la violence policière, Lowery s’adresse à la famille de Brown et aux familles des autres victimes, de même qu’aux militants locaux. Il pose une question très simple: «Que signifie pour vous la perte d’une vie pour le reste de la nation?»
Voilà un livre percutant qui offre un regard sur les balbutiements du mouvement Black Lives Matter et un examen profond des effets cumulatifs de plusieurs années de renforcement des préjugés racistes dans les quartiers les plus pauvres des États-Unis.
«The protest chants were never meant to assert the innocence of every slain black man and woman. The protests were an assertion of their humanity and a demand for a system of policing and justice that was transparent, equitable, and fair».
Pour mieux comprendre le racisme systémique: «Just Mercy: A Story of Justice and Redemption» de Bryan Stevenson
Just Mercy raconte l’histoire vraie de Bryan Stevenson, un jeune avocat qui a fondé le Equal Justice Initiative, un cabinet à but non lucratif à Montgomery, en Alabama, dédié à la défense des pauvres, des incarcérés et des condamnés à tort.
Ce livre se concentre sur l’un des premiers cas plaidés par le jeune avocat, celui de Walter McMillan, un homme noir ayant été condamné à mort pour le meurtre d’une jeune femme blanche qu’il n’a jamais commis. L’affaire illustre à quel point la peine de mort en Amérique est directement liée au lynchage – un système qui, comme le démontre avec beaucoup d’empathie l’auteur, traite les riches et les coupables beaucoup mieux que les pauvres et les innocents.
C’est un ouvrage inspirant qui montre le travail d’un avocat intrépide et engagé qui se bat pour les opprimés, pour ceux qui n’ont plus de voix, pour ceux qui n’ont plus d’espoir…
«The death penalty is not about whether people deserve to die for the crimes they commit. The real question of capital punishment in this country is, Do we deserve to kill?»
Pour mieux comprendre le lien entre le racisme et le féminisme: «Hood Feminism: Notes From A Women That A Movement Forgot» de Mikki Kendall
Dans cette collection d’essais, l’autrice Mikki Kendall met de l’avant l’importance de mettre de l’avant une approche intersectionnelle à travers le discours féministe. Elle fait des connexions très intéressantes entre le féminisme et une variété de sujets qui ne sont pas souvent abordés sous cet angle, comme la crise du logement, le système de santé, la violence armée et la pauvreté, tout en montrant que ces réalités sont souvent écartées du mouvement féministe, qui était et qui est, encore aujourd’hui, un mouvement centré sur les femmes blanches cis (cisgenres) et hétérosexuelles.
Mikki Kendall plonge en profondeur dans ce mouvement en démontrant comment l’expérience des femmes de couleur n’a presque jamais été prise en compte, et comment cette mise à l’écart témoigne d’une myopie à l’égard de facteurs très importants, tels que la race, la classe et l’orientation sexuelle, eut égard à la notion de genre et d’équité. Finalement, l’auteure dépeint l’injustice vécue par les femmes de couleur, qui sont particulièrement affectées de manière disproportionnée par les inégalités.
En abordant ce manque au sein du mouvement, elle pose la question suivante: «Comment toutes les femmes peuvent-elles être solidaires à l’intérieur d’un même mouvement, alors qu’il existe une forte probabilité que certaines femmes en oppriment d’autres?»
«An intersectional approach to feminism requires understanding that too often mainstream feminism ignores that Black women and other women of color are the proverbial canaries in the coal mine of hate.»
Le racisme ici: «NoirEs sous surveillance : Esclavage, répression et violence d’État au Canada» de Robyn Maynard
Récemment, une phrase assez dérangeante était souvent entendue dans le discours de plusieurs Québécois et Canadiens, alors que des manifestations avaient lieu au quotidien l’été dernier: «Je comprends pour les États-Unis, mais ici il n’y a pas de racisme». Ce livre nous prouve tout à fait le contraire!
En effet, l’autrice démontre que sous les couverts du multiculturalisme et du libéralisme se cache bel et bien une histoire de racisme systémique et insidieux. Elle réussit à prouver que cette tactique consistant à se comparer aux États-Unis afin de redorer notre image existe depuis trop longtemps et qu’elle bloque toute forme de conversation profonde sur notre propre histoire, hélas!, teintée d’esclavage, de ségrégation et de colonisation déshumanisante. Notons que ces facettes sont rarement, voire jamais abordées dans nos cours d’histoire, alors que des conséquences fâcheuses et bien réelles sévissent dans la majorité de nos institutions politiques et sociales.
En somme, elle priorise une approche historique puisque, pour elle, le changement est possible si on se confronte à la réalité de notre passé pour avancer vers un futur plus égalitaire.
«L’analyse historique des médias et de l’opinion publique du temps révèle que les Canadien.ne.s s’étaient farouchement opposés à la migration des Noir.re.s mais refusaient tous aussi catégoriquement de se considérer comme racistes. Ils estimaient plutôt que le racisme pouvait être facilement évité: il suffisait que les Noir.re.s restent à l’extérieur du pays.»
Une œuvre de fiction: «The Vanishing Half» de Brit Bennett
L’une des meilleures œuvres de fiction de 2020, The Vanishing Half, est une saga familiale multigénérationnelle qui se déroule entre les années 1940 et 1990 et qui met en scène deux sœurs jumelles identiques: Desiree et Stella Vignes.
Les deux jeunes femmes noires, élevées en Louisiane, ont été témoins du lynchage de leur père dans les années 1940. Elles décident donc de s’enfuir et, rapidement, elles se perdent de vue… Alors que l’une retourne dans la ville qu’elle a tenté de fuir pour y vivre une vie très difficile, l’autre réussit à passer pour une Blanche et vit une vie complètement différente, supprimant du même coup ses origines et son passé.
À travers des générations et une chronologie non linéaire, le lecteur plonge dans une histoire familiale passionnante et émouvante qui touche l’histoire du racisme, mais qui démontre aussi comment le passé et les traumas ont une influence concrète sur le présent. Aussi, on découvre à quel point la douleur peut se transférer de génération en génération et jusqu’où certaines personnes peuvent aller pour l’oublier.