LittératurePolars et romans policiers
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«L’intrusive» de Claudine Dumont · Éditions XYZ · 382 pages
Pour encourager, à ma façon, notre belle littérature québécoise, je débute ce dossier avec le roman d’une autrice que j’ai découvert par hasard en 2015 avec Anabiose. À l’époque, je me rappelle avoir cherché la définition de ce mot, qui m’était alors inconnue, comme le nom de Claudine Dumont d’ailleurs, dont je n’avais (encore) jamais entendu parler.
Voilà qu’en 2020 les Éditions XYZ ont levé le voile sur sa plus récente parution, L’intrusive, un roman qui révèle définitivement l’une des grandes passions de l’auteure: la psychanalyse. En effet, à travers ce second roman, on suit Camille, une jeune femme dont la vie a basculé depuis… qu’elle ne dort plus.
«Je ne dors plus. Une si petite phrase. Je ne dors plus. Cela ne peut pas être si important. Quatre simples mots, mais ils avalent toute ma vie».
Après Anabiose, un huis clos assez anxiogène, Claudine Dumont m’avait habitué à cette sensation d’étouffement que j’ai moins ressentie avec L’intrusive. Mais c’est bien de changer d’air, et cette exploration des rêves que vivra Camille, avec un certain Gabriel – que j’ai trouvé exagérément désagréable et irritant dès son entrée en scène – m’a tenu en haleine par moments, alors que je découvrais peu à peu ses secrets bien enfouis dans les tiroirs de son inconscient.
Même si l’identité de la mystérieuse «intrusive» qui empêche Camille de s’évader au pays des rêves se devine bien vite, l’autrice a su démontrer à nouveau qu’elle maîtrise bien l’art de créer un univers où son protagoniste doit se faire violence – et lutter pour sa survie – afin de retrouver un équilibre, aussi précaire soit-il.
⭐️⭐️⭐️⭐️
«Isola» d’Åsa Avdic · Actes Sud (Actes Noir) · 284 pages
Avec un titre aussi court et évocateur, et une couverture où un œil bleu azur grand ouvert nous scrute l’âme, j’avoue que je me suis laissé tenter par cette première immersion dans l’univers d’Åsa Avdic, une autrice suédoise qui allait enfin m’emmener vers un récit effrayant et coup de poing (à la différence de sa collègue Camilla Läckberg, qui s’est récemment «égarée» du polar glauque avec sa série pro-féministe La cage dorée et Des ailes d’argent…) Mais revenons à nos moutons, je m’égare!
2037. Direction l’île d’Isola, dans l’archipel de Stockholm. Sept candidats, triés sur le volet par le gouvernement dans le cadre d’un recrutement à une haute fonction classée secret-défense, vont devoir, durant quarante-huit heures, cohabiter ensemble et vivre l’expérience à laquelle ils sont conviés, et ce, jusqu’au bout. S’ils en sont capables, bien sûr.
Je me rappelle qu’à la lecture de la quatrième de couverture, je me suis remémoré certaines scènes du film allemand L’expérience, où des candidats participant à une étude clinique deviendront, le temps de «l’expérience», des gardiens de prison ou bien… des prisonniers! Ça tourne mal, très mal. Vous l’aurez deviné.
Ici, la protagoniste Anna a pour mission de feindre sa mort pour mieux analyser les réactions d’autrui… mais évidemment, les résultats escomptés seront bien loin de ce qui attend chacun des candidats.
Malgré le caractère froid et clinique de ce roman, et ces drôles de parties qui se déroulent toutes au protectorat de Suède, en mai 2037 (!), j’ai somme toute vécu quelques moments de lecture angoissants lors de cette immersion dans un univers futuriste et parallèle à celui de l’auteur de 1984.
J’aurais préféré un tout autre dénouement qu’une série d’interrogatoires, mais le revirement de situation reste dur à prédire.
⭐️⭐️⭐️💫
«L’illusion» de Maxime Chattam · Albin Michel · 456 pages
Lors du dévoilement de la couverture du plus récent roman de Maxime Chattam sur les réseaux sociaux, j’ai constaté, à mon grand étonnement, que les réactions des fans étaient plutôt mitigées, vu la fine ressemblance entre L’Illusion et The Shining, l’un des romans les plus puissants jamais écrits par Stephen King (à mon humble avis).
L’auteur français, qui n’a jamais cherché à dissimuler son affection pour le maître de l’horreur, a semble-t-il, voulu faire un clin d’œil à l’une de ses idoles en campant les fondations de L’illusion non pas à l’hôtel Overlook mais à Val Quarios, une petite station de ski familiale dont les portes sont fermées aux touristes durant la saison estivale. C’est ainsi qu’Hugo se retrouve à accepter un job aux côtés d’une douzaine de saisonniers.
«Lieu isolé, peu de contacts avec l’extérieur», disait simplement l’annonce. Au moins, il savait dans quoi il s’embarquait… ou pas!
En toute transparence, le fait que les fondations de L’illusion soient forgées dans le même moule que The Shining, pourquoi pas? Je n’allais pas m’en formaliser plus qu’il n’en faut. Mais ce qui m’a le plus chicoté au fil des pages, c’est le sentiment d’avoir un mal fou à ressentir une quelconque once de sympathie pour son protagoniste, un Parisien plutôt beige, nouvellement actif dans le club des célibataires au cœur brisé. Et c’est là où le bât blesse le plus, car sinon, Chattam a bâti un fil conducteur intrigant et mystérieux – je pense ici à cette silhouette qui «hante» le manoir et qui surplombe la place…
Si l’auteur, à la façon de Le Signal, a réussi à mettre en place une ambiance étrangement inquiétante, comme dirait ce cher Freud, je blâme définitivement le manque de personnages «forts» au sein de l’histoire. C’est peut-être pour ça que The Shining est devenue une œuvre aussi incontournable. C’est parce que Jack Torrance était déjà plus grand que nature avant que Jack Nicholson y ajoute sa magic touch.
⭐️⭐️⭐️
«Le pays du crépuscule» de Marie Hermanson · Actes Sud (Actes Noirs) · 278 pages
Marie Hermanson, je la connais bien celle-là, c’est l’autrice suédoise qui m’a fait vivre tout un tas d’émotions lorsque je l’avais connue en 2014 avec son premier roman Zone B, un livre dont je me souviendrai longtemps d’ailleurs. Dès qu’on connaît la twist, je vous le jure, on devient littéralement scotché à ce livre. Mais a-t-elle réussi, avec Le pays du crépuscule, à livrer la marchandise avec autant d’aplomb? Non, définitivement. Mais elle a su nous emmener ailleurs, par exemple.
C’est l’histoire de Martina, une jeune femme de 22 ans qui, du jour au lendemain, perd ses principaux repères. Sans job, ni diplôme, ni appartement, elle en vient à se convaincre de retourner vivre chez ses parents pour un temps. Les hasards de la vie étant ce qu’ils sont, elle rencontrera sa vieille amie de lycée, Tessa, qui travaille pour une riche retraitée dont le quotidien se déroule à l’instar d’un film des années 40. Chaque soir, elle convie les membres d’une société secrète à sa table, et de grosses pointures en plus. Vous l’aurez deviné: Martina sera embauchée pour ce «boulot assez spécial», elle aussi.
Bien sûr, à force de lire des polars, on en vient à développer un sixième sens, et bien évidemment qu’elle allait se lancer dans la gueule du loup et accepter cette opportunité de travail. Et c‘est évident que cette décision allait chambouler sa vie, encore plus que les événements qui l’ont forcée initialement à quitter Göteborg pour revenir à la case départ. Mais je n’avais pas pensé que cet «isolement» dans le manoir de cette Florence allait provoquer autant la bisbille entre les employés au service de la richarde…
Car oui, Martina ne vivra pas qu’aux côtés de Tessa et Florence; bien vite, Judit, une fille «spéciale» ayant survécu à un accident survenu à proximité, se joindra à elles, tout juste avant l’arrivée de Pontus et Andreas, deux garçons qui viendront changer l’ambiance du tout au tout. Et on dirait que l’arrivée abrupte d’autant de personnages, dans ce vase clos qui évoluait à son rythme juste avant, m’a carrément fait perdre mes repères.
Bien sûr, chacun sera motivé par l’héritage de Florence, je vous laisse imaginer leurs motivations, mais là où j’ai ressenti une once de soulagement, c’est lorsque j’ai compris que Marie Hermanson avait encore son mot à dire avec quelques rebondissements inattendus.
⭐️⭐️⭐️💫
«Les sept morts d’Evelyn Hardcastle» de Stuart Turton · Sonatine Éditions · 537 pages
Pour vous dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, il y a un moment que Sonatine Éditions m’ont fait parvenir un exemplaire de Les sept morts d’Evelyn Hardcastle, mais je n’avais pas encore eu la petite impulsion pour me lancer! Et alors, ce saut en valait-il la chandelle? Oui et non, je m’explique.
La quatrième de couverture m’a «vendu» un roman hybride entre les univers d’Agatha Christie et de Downtown Abbey, et même s’il y a quelques similitudes avec l’un et l’autre, je n’ai pas réussi à ressentir les mêmes frissons qu’à la lecture d’un bon roman à énigmes à la façon du Meurtre de Roger Ackroyd.
Et c’est probablement dû au fait que l’auteur, Stuart Turton, qui livre ici son tout premier roman, a imaginé une trame narrative sur le mode repeat où le protagoniste, un dénommé Aiden Bishop, se réincarne sans cesse, une fois assassiné par un valet de pied en soif de vengeance, dans la peau de divers personnages, pour tenter de reprendre son enquête et d’élucider – pour vrai – le meurtre d’Evelyn Hardcastle.
Ceux qui ont vu le film Happy Death Day comprendront tout de suite l’allusion, car le roman de Stuart Turton est bâti sur les mêmes fondations, ou presque. En effet, le protagoniste se retrouve comme prisonnier d’une boucle temporelle de laquelle il ne peut pas se sortir, à l’unique condition qu’il réussisse à découvrir l’identité du mystérieux tueur. Si l’idée n’a pas le mérite d’être si originale, je dois admettre que l’exercice n’a pas été rencontré souvent en littérature, et le concept est clairement plus réussi que le film d’épouvante pour adolescents mentionné ci-haut.
J’ai aussi trouvé que, dans l’ensemble, les portraits des personnages, tous campés dans un décor de style victorien, sont plutôt vibrants de réalisme. L’auteur, pour un novice en la matière, a su imaginer une épatante galerie de personnages qui donnent lieu à un microcosme où chacun semble avoir des choses à se reprocher. Un peu à la façon de Knives Out («À couteaux tirés»). Ça c’est un excellent film!
Ainsi, les mille et une réincarnations du protagoniste ont fini, au bout de 500 pages, par m’épuiser d’ennui, soir après soir, mais j’admets que l’auteur a eu ce don de me passer le lasso autour du cou pour m’emmener là où il le désirait: jusqu’à la révélation finale qui est plutôt étonnante, je l’avoue. Mais il faut s’armer de patience pour se rendre jusqu’au bout.
⭐️⭐️💫