LittératurePolars et romans policiers
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«La peau du papillon» de Sergey Kuznetsov
Gallimard, collection série noire • 470 pages
Si vous êtes fan de tueurs en série, de sexe extrême, de sadomasochisme, de techniques BDSM et d’ambiances noires qui rappellent l’Angleterre de Jack L’Éventreur, ce roman noir a été écrit pour vous!
L’auteur russe Sergey Kuznetsov nous emmène à des milliers de kilomètres de l’énigmatique tueur de prostituées, dans une Moscou exhibitionniste et inconsciente, où la jouissance, l’orgasme ultime, trouve son essence dans la souffrance et la douleur qui soulage, qui mène vers le nirvana. C’est du moins dans cet état d’esprit que Xénia, 23 ans, rédactrice en chef de la section Actualités du Soir.ru, IT Manager douée, trouve son équilibre vital. Admirée par son patron Pavel, enviée par ses pairs, dont son amant «vanille» Alexeï, qui se prosterne devant son magnétisme, son flair et son assurance, malgré ses dix doigts rongés jusqu’au sang, signe d’un esprit tourmenté, Xénia, sans être aussi geek que Lisbeth Salander, tend à créer un courant d’air partout où elle passe.
Ce qui semble être en apparence une histoire de désir et de sexe extrême se dilue tranquillement dans des eaux troubles lorsque le maniaque de Moscou frappe, terrorisant les habitants de la ville, sauf Xénia, qui ressentira mystérieusement une attirance profonde envers cet assassin, avec qui elle finira par développer une relation virtuelle intense et chargée d’affects.
Bon, il m’a fallu un certain courage pour arriver à la ligne d’arrivée de cette histoire par moments très violente et qui n’est pas des plus linéaires. En effet, Sergey Kuznetsov s’est amusé, on dirait bien, à jongler avec les codes et les conventions d’écriture, ce qui n’est toutefois pas sans danger et fausses notes: une narration ponctuelle au «tu», qui s’avère en vérité un drôle de choix, car ça ajoute en lourdeur et, honnêtement, je n’ai jamais compris le rôle que j’avais ici à jouer. Aussi, je n’ai pas trop compris l’utilité de répéter à outrance des faits et informations, comme l’âge de Xénia, sa profession, comme s’il souhait ajouter une touche de frénétique à son récit, ou un rythme inutile à mon sens. J’ai par contre apprécié ces quelques passages en prose qui adoucissent, en quelque sorte, les confessions du maniaque de Moscou, qui se plait à martyriser de jeunes femmes de tous âges.
Sergey Kuznetsov n’aurait clairement pas eu l’autorisation d’écrire cette histoire à l’époque où Dostoïevski s’est retrouvé au bagne en Sibérie pour avoir osé discuter d’idées nouvelles et de l’avenir de la Russie… D’ailleurs, ce n’est peut-être pas pour rien que deux de ses amis proches aient refusé que leur nom soit associé de près ou de loin à ce roman, refusant même de le lire…
«Femmes sans merci» de Camilla Läckberg
Actes Sud, collection Actes noirs • 142 pages
On la sait aussi prévisible qu’une pendule, l’écrivaine à succès Camilla Läckberg a en effet cette habitude de sonner le glas une fois l’an avec un nouveau roman et de nouvelles horreurs au menu.
Depuis La cage dorée, la Suédoise et reine du polar nordique a laissé Ericka Falk souffler un peu afin d’explorer d’autres thèmes et d’autres types de personnalités. Si sa protagoniste chouchou a toujours fait montre d’une force de caractère qui lui confère un certain don pour la résolution de crime, et l’empathie de ses pairs, et ce, sans pour autant qu’elle ait une haine dirigée envers les hommes, il semblerait que l’auteure, pour donner vie à une protagoniste aussi décidée, ait eu ce besoin viscéral de se défouler sur ces mâles tour à tour irrespectueux, infidèles et agressifs, alors qu’on a traversé récemment une seconde vague #MeToo au Québec, et ailleurs dans le monde, même en France.
Avec sa précédente parution, on sentait bien entre les lignes que Camilla Läckberg fantasmait à l’idée de faire payer cher les bassesses du mari. Avec Femmes sans merci, Läckberg déverse à nouveau un fiel de vengeance en laissant trois femmes — Ingrid, Birgitta et Victoria — rythmer la narration dans cette récente novella publiée dans la chic collection Actes noirs d’Actes Sud, qui me déçoit rarement.
Qu’elle ait opté pour le format de la nouvelle – 142 pages en tout et pour tout – m’a tout de suite donné l’envie de m’y plonger et de refermer ce livre seulement lorsque j’arriverais au point final. Chose promise, chose due, c’est exactement ce que j’ai fait, mais mon plaisir de lecture a changé de goût au fil des pages, me laissant avec un léger goût d’amertume en bouche, comme si le lot de prévisibilité et le grotesque de certains traits de caractère (et de situation!) m’avaient un peu refroidi. Camilla Läckberg a peut-être tartiné trop épais aussi, c’est mon feeling.
C’est qu’on a l’impression que l’auteure avait beaucoup de frustration à faire passer, et je me demande encore à quel point il était nécessaire pour elle de surfer sur la vague du mouvement social #MeToo. Deux parutions d’affilée, où des femmes ont un appétit de vengeance, une soif de faire payer ces hommes infâmes et malhonnêtes, c’est lourd et difficile à digérer.
Il est important, à mon sens, de dénoncer l’inadmissible, mais surfer sur une vague populaire, ça me semble plus un coup de marketing évident qu’un coup de génie.
«Isabelle, l’après-midi» de Douglas Kennedy
Belfond • 308 pages
Écrivain à la plume réaliste et sensible aux émotions humaines, l’Américain Douglas Kennedy n’en est pas à ses premières armes en matière de littérature. Avant Isabelle, l’après-midi, il a fait paraître une vingtaine de romans, dont la trilogie La symphonie du hasard, chez Belfond.
Mais revenons à nos moutons! En toute transparence, en lisant le quatrième de couverture – une invitation à rencontrer le grand amour dans le Paris des années 1970 entre un Américain célibataire et une Parisienne mariée – j’ai eu peur que ce roman sur l’amour et la recherche constante du bonheur côtoie les histoires simplistes et par moments à l’eau de rose de Marc Lévy. Mais je l’avoue: j’ai été happé par cette fresque humaine, par cette passion amoureuse et par ces tourments humains vibrants de réalisme.
Car Isabelle, l’après-midi, c’est l’histoire d’un amour complexe entre Sam et Isabelle, cette femme-fantasme à la chevelure de feu qui occupera toutes les pensées du jeune homme, voué à une carrière d’avocat. On le suit à travers les épreuves du temps et les années qui passent, à travers ses relations intimes avec d’autres femmes, jusqu’à la naissance de son fils Ethan, malheureusement sourd et muet, mais toujours, c’est cette Isabelle inaccessible et complexe en soi qui l’obsède…
Douglas Kennedy dépeint ici l’être humain dans toute sa complexité, avec ses nombreuses qualités et ses tout aussi nombreux défauts, à travers une histoire qui m’a moi-même obsédé, tellement elle est vibrante de réalisme, mais essoufflante à la fois. Si je n’ai qu’une seule chose à reprocher à l’auteur, c’est peut-être cette montagne russe d’émotions et de revirements de situation, qui donne par moments cette impression d’assister à un feuilleton sans fin.
«L’œil de Jupiter» de Tristan Malavoy
Éditions du Boréal • 272 pages
Malgré les apparences – et ce qu’on peut lire sur le quatrième de couverture – ce n’est pas à une grande histoire d’amour passionnelle que nous convie Tristan Malavoy, avec son plus récent roman L’œil de Jupiter, paru aux Éditions du Boréal. La preuve:
Simon Venne, professeur d’histoire au Cégep du Vieux Montréal, a tout laissé derrière lui – sa job, sa femme, sa fille –afin de s’embarquer dans un projet fou pour rendre service à son ami Sasha et surtout pour assouvir sa soif de savoir: partir en Louisiane, à La Nouvelle-Orléans, pour chercher à mieux comprendre l’histoire d’Anne (dite Gisé), une Antillaise ayant échappé de justesse aux griffes des envahisseurs, les Espagnols.
Sur place, il mène sa petite enquête, discute avec les gens du coin et se lie d’amitié, avec force affinités, avec Ruth, de laquelle il tombera sous le charme. Mais des bribes de son passé remonteront à la surface et créeront une fissure à la surface de leur liaison passionnelle…
Dès les premières pages, j’ai eu un peu de difficulté à comprendre où l’auteur m’emmenait, comme si j’avais l’impression de voguer en eaux troubles et d’assister à un mauvais rêve… ce qui était bien le cas, pourtant! J’ai eu espoir que son personnage allait finir par ouvrir les yeux, au petit matin, pour nous rassurer et nous confirmer que les atrocités auxquelles il avait été confronté ne’étaient pas réelles. Eh non, ce n’était pas qu’un cauchemar; le drame est bien réel, et c’est ainsi qu’on se laisse aller et qu’on découvre un pan de la vie de Madeleine, une histoire tragique dont Malavoy s’est inspirée pour l’écriture de ce roman.
Personnellement, j’ai bien aimé l’alternance entre les deux histoires qui évoluent en parallèle, chacune à leur rythme, mais je l’avoue, j’ai eu un solide coup de cœur pour le récit touchant mais dur d’Anne, qu’on a envie, comme un bon samaritain qui lui tend la main, de prendre dans nos bras et d’aider au mieux.
J’avais un peu d’appréhension au début de ma lecture, mais très rapidement, je me suis détendu, je me suis laissé la chance d’entrer dans cet univers, et je me suis laissé imprégner par ce flot de mots, par cette histoire qui se dessinait petit à petit et qui continuent, encore à ce jour, de hanter ma conscience, tellement je l’ai trouvée touchante.
«Le Point zéro» de Seichô Matsumoto
Atelier akatombo • 270 pages
J’avais gardé en mémoire le nom de Seichô Matsumoto après l’avoir découvert avec Un endroit discret, paru dans la collection Actes noirs d’Actes Sud. C’est son sens du déguisement du mobile de son suspect qui m’avait tant fasciné à l’époque.
La littérature nippone, jusqu’au milieu du XXe siècle, n’a pas tellement mis de l’avant le genre du roman policier, jusqu’alors méconnu sur la scène. Seichô Matsumoto est l’un des précurseurs, dans son pays, et Le Point zéro est l’un des titres qui a capté l’attention de Frank et Dominique Sylvain, les cofondateurs d’Ateliers akatombo, que j’ai eu la chance d’interviewer récemment.
L’histoire se résume simplement: Teiko, tout juste mariée à Kenichi, voit son mariage assombri par l’angoisse et l’incompréhension alors que son mari, parti en voyage d’affaires, disparaît sans laisser de traces. Elle décidera de faire la lumière elle-même en enquêtant à Kanazawa et ses environs à la recherche d’une vérité qui fait froid dans le dos.
La plus grande qualité de l’auteur, c’est définitivement son talent de prestidigitateur. Il est passé maître dans l’art de la dissimulation, c’est-à-dire qu’il réussit à rendre plausible une situation qui aurait pu paraître clairement tirée par les cheveux. Même si ses personnages ne sont pas éminemment fouillés, dont son protagoniste Teiko, c’est à travers ses nombreux questionnements qu’on déduit son intelligence et son sens de la déduction. On sent ici l’influence du manga où le personnage central se pose souvent les mêmes questions pour brouiller les pistes.
Même si on finit bien avant la finale à mettre un nom sur le coupable, à force de déductions quasi mathématiques, il est presque impossible de deviner le motif, car c’est là que Seichô Matsumoto excelle. Si vous avez aimé le style de Keigo Higashino, ce roman vous plaira tout autant.