CinémaEntrevues
Crédit photo : Tous droits réservés @ Les Films du 3 Mars
Une passion inestimable à redécouvrir chaque jour
Grande amoureuse des arts, Catherine Martin a étudié les arts plastiques, la photographie et le cinéma avant de commencer sa carrière comme monteuse. Souhaitant explorer le langage cinématographique, elle navigue entre le documentaire et la fiction, d’un projet à l’autre.
Elle nous a avoué que, pour elle, c’était deux façons différentes d‘exprimer des idées qui la préoccupent, toutes aussi fascinantes l’une que l’autre.
«Le cinéma, c’est un langage, pour moi, qui est toujours à découvrir, à redéfinir, parce que c’est un grand mystère. Je le pratique depuis près de 30 ans, et je n’arrive toujours pas à me dire que j’en ai fait le tour. Ça me met constamment au défi. C’est merveilleux de pouvoir toujours apprendre quelque chose!», a-t-elle déclaré avec passion.
Au fil du temps, elle a appris à couvrir plusieurs volets au cœur de ses projets, notamment le scénario, la direction photo, la prise de son et la réalisation, et ce, en plus du montage qu’elle maîtrisait déjà. Cet immense bagage l’a amenée à réaliser sept courts métrages, quatre longs métrages de fiction et maintenant un cinquième documentaire, intitulé Éloge de l’ombre.
La curiosité, cette porte ouverte sur le monde
Attirée par le clair et l’obscur depuis des lustres, la cinéaste s’était fait recommander par un ami l’essai Éloge de l’ombre de Junichiro Tanizaki, qu’elle a lu à plusieurs reprises sans toutefois être certaine d’avoir saisi tout ce que l’auteur voulait évoquer.
Elle admet que cette lecture a créé un chemin très mystérieux en elle et a soulevé de nombreuses interrogations. «Ça a cristallisé un désir que j’avais depuis très longtemps de faire un film autour des ombres», a-t-elle affirmé.
D’ailleurs, elle nous a confié qu’en commençant à travailler sur ce film, des plans en noir et blanc qu’elle avait réalisés en Super 8 lorsqu’elle était étudiante lui sont revenus à l’esprit. «C’était des exercices qu’on faisait et j’avais spontanément filmé des ombres. Je les ai fait numériser et j’ai redécouvert ces images-là. Je me suis dit qu’il fallait que ce soit dans le film!», a raconté la cinéaste.
La beauté que peuvent provoquer les silhouettes éphémères passe souvent inaperçue dans le rythme effréné de notre quotidien. Catherine Martin tente ainsi de nous ramener dans l’instant présent et de nous offrir un moment paisible de contemplation pour nous aider à redécouvrir le monde qui nous entoure.
Non seulement elle maîtrise le sujet des ombres, qui est documenté de trois manières différentes dans son film, mais le visuel demeure tout aussi captivant d’un plan à l’autre. Certains témoignages sont présentés en contrejour comme si les ombres s’adressaient à nous. Quelques passages projettent des figures ombragées en mouvement.
Même s’il est impossible de distinguer de quoi il s’agit, la danse mystérieuse des ombres attire notre attention jusqu’à la prochaine image.
«Des fois, on a besoin de se mettre dans un état de contemplation. Ça nous aide à mieux respirer, à avoir plus d’espace qui nous appartient, à nous. Quand on était enfant, on avait cet espace-là, on le prenait. Je pense qu’on en a besoin toute notre vie, du merveilleux. Et l’enfance, ça permet d’avoir la disponibilité, mais on devrait toujours l’avoir. En tout cas, moi, c’est comme ça que j’essaie de vivre.»
En se remémorant des souvenirs d’enfance, elle a réalisé que le cinéma et le théâtre ont très tôt fait partie de sa vie. Elle se rappelle les balbutiements de son expérimentation de spectatrice; elle adorait se retrouver dans une salle obscure pour admirer les ombres en mouvement devant ses yeux.
C’est pourquoi elle encourage fortement le visionnement en salle, qui permet de vivre pleinement l’expérience d’un film.
Une infinité de perceptions possibles
Dans cette méditation cinématographique qu’est Éloge de l’ombre, la cinéaste nous propose en premier lieu un voyage au Japon. Lors de son procédé de recherche, elle a rencontré une femme à Kyoto qui a embarqué dans son projet à titre d’assistante et d’interprète. Ainsi, cette dernière l’a accompagnée tout au long du tournage à l’étranger, où la culture traditionnelle japonaise est illustrée par son rapport à la pénombre.
Elles ont donc visité plusieurs artisan∙es japonais∙es, incluant un fabricant qui explique, à un moment du film, comment l’ombre de ses bougies japonaise diffère de l’ombre des bougies occidentales.
Fascinée par la capacité des gens aveugles à percevoir le monde — comme on pouvait déjà le constater dans son film fictif Dans les villes, où l’un des protagonistes est un photographe aveugle incarné par Robert Lepage —, Catherine Martin a entrepris des démarches pour en rencontrer et recueillir leurs témoignages.
On a parfois l’idée, quoique clichée, qu’ils n’aperçoivent que des ombres, mais un tout autre scénario est possible. Particulièrement touchante, cette partie du film remet en perspective nos acquis et notre perception des détails trop souvent polarisée.
«Ça me ramenait toujours à ce qui me préoccupe depuis des années: la présence au monde. J’espère toujours que le spectateur∙trice, une fois qu’il aura vu un de mes films, réfléchira à comment il appréhende le monde, à comment le monde se manifeste et à comment on entre dans des moments où il faut parfois s’arrêter et se rendre compte qu’on est tout simplement là», a expliqué l’artiste à propos de ses intentions cinématographiques.
Finalement, la dernière partie du film revisite les débuts de la photographie jusqu’à l’appareil de l’un de ses pionniers, le scientifique britannique William Henry Fox Talbot dans les années 1830. Ce voyage dans le temps propose également une réflexion sur l’évolution de la technologie et de la transition du cinéma vers le numérique, ainsi que l’effet de ce changement, tant pour les cinéastes que pour les spectateur∙trices.
Bien plus qu’un simple reflet, l’ombre renferme des tas de mystères! Plongez dans cette réflexion, ou laissez-vous porter par les rêves qu’elle suscite.
«Ce qu’on apprend dans mon film, ce sont des choses qu’on apprend sur soi-même beaucoup plus que sur le sujet en tant que tel. Il y a des choses que j’ai évité de dire pour que le spectateur∙trice puisse se faire sa propre idée sur ce qu’il ressent face à la représentation», a conclu Catherine Martin.