CinémaEntrevues
Crédit photo : Tous droits réservés @ Les Films du 3 Mars
Productrice, réalisatrice et scénariste primée, la réputation de Nadine Valcin n’est plus à faire. Récipiendaire de nombreux prix et subventions, elle réalise et produit des émissions, des magazines pour la télévision, des documentaires et des œuvres cinématographiques.
Cependant, le cinéma ne fut pas sa première passion: «Enfant, j’aimais le dessin, le bricolage, j’aimais créer des choses; en sortant de l’école d’architecture, j’avais envie de produire de l’art qui soit plus axé sur l’humain et moins sur l’objet et le matériel. Et comme j’avais beaucoup aimé les quelques cours complémentaires en cinéma que j’avais complétés durant mes études, j’ai décidé de choisir cette voie», nous confie-t-elle.
C’est cette quête d’humanité qui l’a tout naturellement amenée à s’intéresser à la vie de Johanne Harrelle, une femme inspirante et importante dans l’histoire culturelle de la nation québécoise, mais dont on entend pourtant peu parler.
«J’ai participé à une résidence d’artiste à la Bibliothèque et Archives Canada pour un projet de recherche basé à Toronto qui s’appelle Archive/Counter-Archive et où j’avais l’opportunité de créer une œuvre médiatique à partir d’archives relevant du domaine public. Je suis tombée par hasard sur À tout prendre. Je me souvenais avoir déjà vu ce film, où Claude Jutra revisite son histoire d’amour avec Johanne Harrelle, il y a longtemps, et je me suis demandé ce qui était arrivé à cette dernière. J’ai fait des recherches et me suis rendu compte que c’était une artiste qui avait eu un parcours exceptionnel, surtout pour une femme afrodescendante née en 1930. Évidemment, ces recherches ont précédé l’éclatement du scandale à propos de Claude Jutra.»
Une plongée intime dans la vie d’une grande femme
Nadine Valcin pose un regard humain sur Johanne Harrelle: elle ne s’intéresse pas qu’à son parcours artistique, mais bien à la femme qu’elle était dans l’intimité pour sa famille, ses fils et les hommes qu’elle a aimés.
«En 2014, l’UQAM a organisé un colloque pour les 50 ans d’À tout prendre. J’ai trouvé un site Web créé par la Cinémathèque québécoise qui s’est avéré une vraie mine d’informations; je n’aurais pu espérer trouver mieux! Ça m’a permis de commencer à fouiller au sujet de Johanne: j’ai commencé par créer une installation vidéo à partir d’À tout prendre, puis je me suis dit que Johanne avait été une femme qui méritait qu’on explore plus profondément, en détail et en nuances, l’existence qu’elle a menée et la personne qu’elle a été», explique Nadine Valcin.
Née d’une mère canadienne-française et d’un père afro-américain, Johanne Harrelle fut abandonnée sur le pas d’un orphelinat lorsqu’elle était toute petite. Elle y vivra plus d’une dizaine d’années et ne sera jamais adoptée.
Sa vie sera ensuite un mélange de mode, de mannequinat, d’écriture et de cinéma. «Johanne a réussi à vivre sa vie sans compromis. C’est une femme forte qui a su se tracer un parcours exceptionnel par elle-même. Un parcours qui est aussi complexe, rempli de détours et de méandres. À ma connaissance, c’est la première femme afrodescendante au Québec à avoir eu un tel parcours et une telle influence dans le milieu culturel et social de l’époque», affirme la réalisatrice.
Johanne Harrelle a contribué à ouvrir des portes que l’on refusait jusque-là aux femmes, et encore plus aux femmes de couleur. Elle est une pionnière dans l’univers de la mode et du cinéma au Québec.
Un voyage vers une époque lointaine
Comme Johanne Harrelle est née en 1930, la plupart de ses contemporains sont aujourd’hui âgés, ou décédés. Cela n’a pas rendu les démarches faciles pour Nadine Valcin qui a, par exemple, dû attendre un an afin de pouvoir s’entretenir avec Edgar Morin, célèbre sociologue-philosophe qui fut son compagnon de vie durant dix-sept ans.
«Edgar Morin a embarqué tout de suite dans le projet, ce qui a été très encourageant. Il avait 101 ans quand je l’ai rencontré pour le film! Quand on a cet âge vénérable, on ne peut pas nécessairement faire des plans à long terme. J’ai donc dû me déplacer au Maroc, où il donnait une allocution lors d’une conférence à Marrakech. Au Maroc, il faut avoir certaines permissions de tournages, et nous n’avons réussi à les obtenir que la veille de notre départ. Ce fut toute une aventure», raconte-t-elle.
«Il y avait une urgence de tournage, et c’est cet aspect qui rend ce documentaire si unique». – Nadine Valcin
Johanne, tout simplement regorge d’ailleurs de témoignages précieux, puisque certaines personnes interviewées sont décédées depuis le début du projet.
«Louise Harrelle, la belle-sœur de Johanne, nous a quittés entre-temps. Elle possédait tant de détails sur la vie de Johanne que personne d’autre ne savait, alors c’est une chance inouïe d’avoir pu l’interviewer», nous confie Nadine Valcin.
Hommage contemporain à la vie d’une femme inspirante et influente, Johanne, tout simplement est un long métrage documentaire qui permet également de revisiter le Québec des années 1950 et 1960, et d’en découvrir des aspects jusqu’ici méconnus.