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Crédit photo : Sony Pictures Classic
Sous des couleurs hyper expressives et une musique à la Bernard Hermann d’Alberto Iglesias, sans repos, plaquée fortement sur chaque scène, la discussion sur la mort commence abruptement lorsqu’Almodóvar introduit notre protagoniste, l’auteure Ingrid (Julianne Moore), qui vient de finaliser un livre qui interroge la nature même de la mort. Pour elle, c’est irrégulier qu’un être vivant doive mourir.
Si vous n’avez pas trouvé ce moment direct, Almodóvar nous assure que le thème principal du film y sera compris à travers une conversation entre Ingrid et une amie proche, qui lui confie qu’une ancienne collègue de travail, Martha (Tilda Swinton), est à l’hôpital aux prises avec un cancer en phase terminale.
Après cela, il n’y a plus aucune ambiguïté.
Ingrid va donc rendre visite à Martha, et les deux femmes rattrapent le temps perdu presque immédiatement. À travers plusieurs conversations à l’hôpital, elles se remémorent bon nombre de moments-phares de la vie de Martha, parmi lesquels sa carrière journalistique et la relation qu’elle entretient avec sa fille, Michelle (jouée également par Tilda Swinton).
Ces séquences, fragmentées par des retours en arrière qui ne sont nullement nécessaires au récit, nous gardent difficilement attentifs.
Une première partie inégale, une deuxième partie captivante
Autant Almodóvar n’a jamais perdu sa touche visuelle en tant qu’artiste, offrant une palette de couleurs ressemblant davantage à All About My Mother et Volver que ses films plus récents, autant il a eu beaucoup de difficulté à transposer la poésie de ses dialogues, grâce auxquels il a fait sa marque à travers ses mélodrames espagnols, cette fois dans une langue avec laquelle il n’a pas trop de familiarité.
C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles Emilia Pérez de Jacques Audiard ne fonctionnait pas du tout. Le réalisateur ne parle pas espagnol, et il a dû en plus diriger ses actrices dans une langue qui lui était complètement étrangère. Le résultat, surtout chez Selena Gomez, n’était pas très convaincant…
Contrairement à Audiard, Pedro Almodóvar est tout de même très habile pour montrer à l’écran une intériorité chez ses personnages, soit pour Tilda Swinton dans The Human Voice ou pour Pedro Pascal et Ethan Hawke dans Strange Way of Life.
Néanmoins, pour les dialogues, nous sommes très loin de ses productions espagnoles. Cela est très évident dans la première partie de The Room Next Door: les conversations entre Ingrid et Martha sont d’une réelle monotonie et nous enlèvent une couche de la splendeur visuelle grâce à laquelle Almodóvar intègre ses personnages.
De plus, les histoires que raconte Martha semblent appartenir à deux films complètement différents.
Et puis, la bande-son forte et ultra orchestrée plaquant chaque scène crée une atmosphère incroyablement déconcertante avec les sections plus dramatiques de l’opus. Il devient donc très difficile de s’attacher aux personnages avec lesquels on nous demande d’avoir une certaine connexion émotionnelle durant les 107 minutes que dure ce film!
Cependant, l’œuvre change soudainement lorsque Martha demande à Ingrid d’être son témoin pour son décès… Celle-ci a acheté une pilule d’euthanasie sur le Dark Web et planifie mettre fin à ses jours d’ici la fin du mois.
En effet, elle a loué un chalet où elle veut passer le restant de sa vie et espère qu’Ingrid logera dans la chambre d’à côté (d’où le titre du film) lorsqu’elle passera à l’acte. Ingrid, quant à elle, n’est pas sûre d’être à l’aise avec l’idée d’accompagner son amie dans la dernière phase de sa vie, celle qui est si attachée à ce monde et qui ne comprend toujours pas pourquoi nous devons mourir, même après avoir écrit un roman sur ce thème!
Voici un enjeu que Pedro Almodóvar pose très bien, et ce, sans jamais le mentionner: l’aide médicale à mourir est illégale dans la majorité des États-Unis, et plusieurs patients souffrant de maladies incurables aimeraient mourir dans la dignité au lieu de passer le restant de leur vie aux prises avec une douleur et une faiblesse sans fin.
Seuls onze états offrent la possibilité aux patients de le faire. Martha, quant à elle, est prise en charge à New York, où ce choix est interdit, peu importe si son cancer est en phase terminale et qu’elle désire mourir, une décision qu’elle prend individuellement, sans influence, et avec un esprit sain.
Elle sait que les traitements de chimiothérapie visant à prolonger sa vie de quelques semaines ou de quelques mois vont la rendre encore plus malade qu’elle l’est. Elle finira probablement dans un lit d’hôpital, ne se rappelant pas les souvenirs les plus heureux de son existence, et surtout, elle ne pourra pas finir sa vie comme elle le désire.
Il y a une réelle mélancolie dans la façon dont Almodóvar dépeint le choix de Martha. Pour le spectateur, il devient très difficile de retenir ses larmes, en particulier devant la performance déchirante de Tilda Swinton.
Tilda Swinton et Julianne Moore: deux actrices exceptionnelles
Almodóvar connaît les forces de Swinton depuis leur première collaboration dans The Human Voice et les utilise à plein escient. L’actrice britannique campe son personnage dans une espèce de clarté totale où elle souhaite juste finir sa vie dans la joie, en se souvenant de ses plus grands accomplissements. Elle a totalement accepté son sort comme étant la meilleure décision possible pour vivre ses derniers moments avant de voyager vers l’inconnu.
Swinton est davantage connue pour ses rôles plus expressifs, mais l’intelligence de son jeu, ici, c’est qu’il n’est pas expressif. Martha a vécu une vie très mouvementée. Maintenant, elle est totalement apaisée par sa décision de vouloir partir, et elle espère que son corps malade ne souffrira plus lorsqu’elle prendra la pilule. Il est difficile de représenter l’intériorité d’un personnage qui n’a plus rien à perdre et qui attend le «bon moment» pour passer à l’acte, mais Swinton le fait, sans réelle surprise, avec brio et mérite amplement sa nomination aux Golden Globes cette année.
Moore, avec le personnage d’Ingrid, joue dans un registre complètement différent de celui de Swinton, puisqu’elle est incapable d’accepter le sort ultime des êtres humains. De fait, dès la première scène du film, elle exprime ouvertement que son livre a été écrit pour apprivoiser la peur qu’elle a de mourir. Maintenant, elle doit accompagner son amie dans ses derniers moments, et elle se sent très inconfortable face à cette situation.
Lorsqu’elles arrivent au chalet, Martha a oublié la pilule, la seule raison qui l’a poussée à avoir entrepris ce long voyage en voiture dans un endroit calme et éloigné des autorités. Ce à quoi Ingrid répond très brusquement que c’est peut-être un signe qu’il faut vivre notre vie jusqu’au bout, phrase qu’elle répètera sous plusieurs variations pendant leur dernière semaine ensemble.
Mais Martha a pris sa décision. Rien ne va l’empêcher. Ingrid refuse, cependant, d’accepter que ce soit son dernier sort, jusqu’à une séquence d’une exécution si simple qu’il est surprenant qu’elle ait un impact puissant pour le reste du film…
Durant une soirée, les deux femmes s’offrent un marathon de films et finissent avec The Dead de John Huston (encore une fois, si vous cherchez de la subtilité, il n’y en a pas!) L’expérience de visionnement transforme Ingrid. Les spectateurs attentifs constateront que ses expressions faciales changent d’un coup et qu’elle n’a maintenant plus peur de perdre son amie. Cela est davantage perceptible le lendemain, lorsqu’elle dîne avec son ex-amant Damian (John Turturro), qui lui raconte à quel point nous vivons dans un monde pessimiste se dirigeant vers l’extinction – les changements climatiques ont, dans cette planète visualisée par Almodóvar, changé la couleur de la neige en rose, entre autres exemples.
Ingrid, quant à elle, n’est pas aussi inquiète. Certes, la planète n’est pas en forme, mais elle vient d’observer l’une de ses meilleures amies reprendre le contrôle de sa vie et décider quand il est temps de partir. Si l’humain est capable de naviguer dans un courant d’incertitude entourant la mort et de l’apprivoiser comme étant une partie naturelle de notre vie, la société est capable d’accomplir de grandes choses.
Peut-être que ce parallèle sur les changements climatiques aurait pu être amené avec un peu plus de finesse, mais Almodóvar nous donne une réelle leçon sur la mort dont peu de cinéastes osent même faire face.
La mort chez Almodóvar
Je ne vous apprends rien en disant que nous allons tous mourir, et que, peu importe ce que nous accomplirons, notre vie a une fin en soi. Au cinéma, cependant, la mort est un sujet que plusieurs réalisateurs craignent d’aborder pour leur public.
Dans les films pour enfants, on ne dit pas qu’une personne est «décédée» ou «morte», mais bien qu’elle a plutôt «disparue» ou qu’elle se trouve maintenant «dans un autre monde». Dans une œuvre pour un public adulte, le décès d’un protagoniste est souvent empli de morales fortes où il vient avec son lot d’émotions mélodramatiques.
Dans The Room Next Door, Pedro Almodóvar évite tous les clichés associés à la mort qu’Hollywood perpétue depuis la nuit des temps. Il préfère plutôt en parler sans retenue, en rappelant aux spectateurs qu’il est primordial d’accepter son sort ultime comme étant une partie intégrale de sa vie en tant qu’humains, mais également en le préparant lui aussi à sa mort éventuelle. Le cinéaste n’a pas caché, au cours d’entrevues, qu’il a lui-même de la difficulté à accepter la mort.
Comme Ingrid, il trouve que ce n’est pas naturel que l’humain doive mourir.
Cependant, en vieillissant, Pedro Almodóvar commence à s’inquiéter que la fin approche et pense davantage à ce qui s’en vient. Peut-être qu’il lui reste encore plusieurs années à vivre, mais lorsque le spectre de la mort apparaît à l’arrière-plan, il est difficile de l’oublier.
Avec The Room Next Door, le cinéaste espagnol nous demande de réfléchir à notre propre sort. La plupart des gens évitent volontairement de parler, et même de penser à la mort, et ce, même si nous y serons tous confrontés un jour ou l’autre.
En y pensant rien qu’un peu, il est possible que nous puissions comprendre notre fragilité dans ce monde, ce qui nous permettrait d’apprécier la vie que nous vivons à son plein potentiel avant que les lumières s’éteignent et qu’il ne reste plus rien…
Le film «The Room Next Door» de Pedro Almodóvar en images
Par Sony Pictures Classic
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de la rédaction