CinémaEntrevues
Crédit photo : Tous droits réservés @ Les Films du 3 Mars
Deux chemins qui devaient se croiser
Réalisateur et scénariste indépendant, Santiago Bertolino en est à son quatrième long métrage documentaire. Son film Carré rouge sur fond noir, coréalisé avec Hugo Samson, a remporté le prix Gémeau du Meilleur documentaire enjeux et société ainsi que celui du Meilleur scénario en 2013.
Le cinéaste nous a rapporté que, depuis l’enfance, il puise son inspiration de son père, qui est lui-même réalisateur de documentaires. Ce dernier prenait plaisir à lui raconter son voyage périlleux en Amazonie à l’époque où la remontée du fleuve se faisait dans les rapides. Santiago était donc habité par cet univers dès un très jeune âge, et il a aujourd’hui choisi d’emprunter ce chemin à son tour!
«J’essaie de faire du cinéma de transformation sociale. Je pense que je suis né comme ça, avec un désir de justice sociale et écologique. Je cherche toujours un moyen d’amener les gens à réfléchir sur leur société d’une manière quand même douce, pas forcée», a expliqué Santiago en se remémorant les débuts de son parcours.
De son côté, Marie-Josée Béliveau se préoccupe depuis longtemps des enjeux environnementaux et des droits autochtones. Elle a d’ailleurs orienté sa carrière autour de ces deux causes qui lui sont chères en cofondant la Marche des peuples pour la Terre Mère, la Fondation Coule pas chez-nous et le Collectif du Mur de femmes contre les oléoducs et les sables bitumineux.
«Je pense que je suis une personne un peu timide à la base, et quand j’ai voyagé en Amérique latine et ici au Québec avec plusieurs Premières Nations, j’ai été très touchée par le fait qu’il y ait des réalités qui se vivent et qui ne sont pas nommées, ou dont on ne parle pas assez», a relaté l’ethnogéographe. «J’ai rencontré différents peuples qui vivaient des situations d’injustice avec le sentiment qu’ils n’avaient pas d’autre option que de les subir».
Une expédition à contrecourant de la tempête
C’est lorsque Marie-Josée a obtenu du renommé Frédéric Dion la bourse Karavaniers pour l’aventure voyage, culture et découverte que Santiago l’a remarquée. Impressionné par l’audace et la bienveillance de son projet, il a tout de suite eu envie d’y participer.
L’aventurière a avoué qu’au départ elle a hésité à accepter la proposition de Santiago, qui voulait l’accompagner et réaliser un film autour de son voyage, puisque le scénario qu’elle s’était fait de son aventure se déroulait en solo. Après réflexion, elle a admis que la collaboration du cinéaste pouvait amener son projet encore plus loin, tant pour se rendre dans des régions moins sécuritaires que pour le faire connaître à un public plus élargi. Elle s’est dit que le film serait complémentaire aux conférences qu’elle donne déjà dans les établissements d’enseignement postsecondaire. De plus, le visionnement de ses films l’a convaincue de son sang-froid et de sa bravoure en terrains inconnus.
Les deux nouveaux collègues ont donc convenu qu’ils remonteraient les 4 000 km du fleuve Amazone pour aller à la rencontre des gardiens et des gardiennes de la forêt, ces gens courageux qui militent tous les jours contre l’industrialisation responsable de la crise climatique.
Non seulement Marie-Josée et Santiago ont du cœur au ventre pour se lancer dans un tel périple, mais ils ont aussi développé d’incroyables réflexes de survie pour s’adapter et se sortir de situations dangereuses. Tous les deux ont révélé qu’ils avaient failli couler de leur chaloupe qui s’est momentanément remplie d’eau en raison d’une soudaine averse abondante. Puisque les rives étaient presque inexistantes et probablement infestées de serpents, ils ont entrepris de la vider à l’aide de bouteilles et de canettes découpées qui leur servaient de provisions.
Dans l’objectif de récolter des témoignages, ils devaient obtenir l’autorisation de chacune des communautés autochtones avant d’intégrer les lieux, parfois en échange de nourriture. Malgré quelques moments d’attente anxiogènes, ils ont tissé rapidement des relations sincères et appris beaucoup sur leurs combats de société.
«On n’avait pas le temps de développer de grandes relations d’amitié, mais on a établi un terrain de confiance. […] C’est vraiment une place extraordinaire pour converser avec les gens et découvrir leur réalité. Pas nécessairement pour filmer, mais pour s’abreuver d’informations et d’échanges culturels», a admis Santiago.
C’est avec nostalgie que Marie-Josée a ajouté: «Des fois, il y a 100, 150 personnes, et au bout du trajet, tu ne veux plus les quitter, parce que tu viens de passer cinq jours avec eux et tu sais qu’une fois que le bateau sera vidé, tu ne les reverras plus. Pour moi, c’était des petites peines d’amour à chaque fois».
Elle a d’ailleurs gardé contact avec chacune des communautés rencontrées pour entretenir leur relation et tenter de les soutenir du mieux qu’elle le peut avec ses projets personnels.
Enfin un peu de lumière sur l’avenir de la nature et de ses protecteur∙trices
La beauté du film Amazonie, à la rencontre des gardiens et des gardiennes de la forêt est qu’il expose au grand jour les retombées positives de toutes ces luttes depuis tant d’années. Les dernières scènes du film illustrent les victoires des peuples autochtones, notamment sur l’avancée de leurs droits reconnus par la Cour constitutionnelle de l’Équateur ainsi que le résultat des élections brésiliennes, pour ne nommer que celles-là.
Pour résumer son projet cinématographique, le réalisateur a rappelé l’essentiel de ce qu’il souhaitait transmettre au grand public.
«Le message, c’est de ne pas lâcher, de montrer qu’ensemble on peut essayer de changer les choses. Ce n’est pas de manière individuelle, mais de manière communautaire qu’on peut avancer. Ça peut aussi nous amener à réfléchir sur la décroissance, sur le choc de l’industrialisation aujourd’hui au Canada. […] On est dans une nouvelle séquence de développement industriel où l’on va passer de l’exploitation des ressources minières à l’électrification des transports. Donc, le film sert aussi à parler des dangers de l’industrialisation, à comment la faire ralentir». — Santiago Bertolino
«L’idée, c’est de montrer à travers un film qu’il y a des personnes qui se mobilisent en Amazonie, que ce n’est pas juste une région où l’on ne peut rien faire. […] Je souhaite que les gens qui le voient comprennent que, nous aussi, on a un pouvoir là-dedans, de différentes manières, et que celui-ci serve un peu d’outil de mobilisation, peut-être pour des organisations qui voudraient faire parler de ces situations-là, ou pour le public qui veut en savoir plus. Ou encore pour les gens de tous âges qui, eux-mêmes, ne savent pas trop comment prendre la question environnementale», a conclu l’aventurière Marie-Josée Béliveau.
Des rencontres inoubliables vous attendent dès le 6 septembre!
Présenté dans sa version originale française avec des passages en portugais sous-titrés en français, Amazonie, à la rencontre des gardiens et gardiennes de la forêt prendra l’affiche à Montréal à la Cinémathèque québécoise, au Cinéma du Musée et au Cinéma Beaubien, à Québec au Cinéma Cartier, à Sherbrooke à La Maison du Cinéma ainsi qu’à Trois-Rivières au Cinéma Le Tapis Rouge.
La première de ce documentaire aura lieu le 6 septembre à 19 h au Cinéma Beaubien, et ce, en compagnie du cinéaste, Santiago Bertolino, ainsi que de l’expéditrice, Marie-Josée Béliveau.
Puisqu’il y en a tant à dire et à découvrir sur cet inspirant voyage, profitez de la ciné-rencontre du 7 septembre à la Cinémathèque québécoise en leur présence. Une table ronde est aussi planifiée le 8 septembre au Cinéma du Musée, et cette fois, ils seront accompagnés de deux invités experts. Vous aurez ainsi la chance de poser toutes vos questions!