CinémaCritiques de films
Crédit photo : Focus Features
Depuis plus de vingt ans, il est un véritable pionnier de la haute couture et, de toute évidence, ce ne sont pas que les étoffes qu’il sait tisser à la perfection. Sept ans après A Single Man, qui avait valu à Colin Firth une nomination pour l’Oscar du meilleur acteur en 2010, le grand couturier signe donc son second long-métrage à titre de producteur, scénariste et réalisateur. D’après un roman d’Austin Wright intitulé Tony and Susan (prenons d’ailleurs le temps d’apprécier ce nouveau choix de titre), Nocturnal Animals est un drame néo-noir à plusieurs niveaux d’interprétation où s’enchevêtrent deux trames narratives distinctes.
Dans cette splendide histoire de culpabilité, de ressentiment et de vengeance passionnée, on entre d’emblée dans le quotidien parfaitement léché, mais tout aussi austère d’une riche propriétaire de galerie d’art (Amy Adams). Sans nouvelles de son ex-mari (Jake Gyllenhaal) depuis des lunes, elle recevra de sa part un manuscrit lui étant personnellement adressé… et dédié. Troublée par la violence de ce récit sombre et tragique écrit par un homme dont elle se rappelait surtout la complaisance, elle sera confrontée aux blessures d’un passé qui sommeillait profondément, jusque-là, sous les artifices de son existence mondaine. La mise en abyme s’installe lorsqu’on est plongé dans le récit en question, un polar véhément où Gyllenhaal tient aussi la vedette dans le rôle d’un père de famille en proie au dessein sordide d’une bande de truands dirigé par un dénommé Ray (Aaron Taylor-Johnson). Secondé par la dévotion d’un shérif empathique (le toujours-impeccable Michael Shannon), il luttera sans relâche pour que justice lui soit rendue, jusqu’à une confrontation finale dont la puissance bouleversera sa lectrice fictive autant que le spectateur du film.
S’apparentant à la fois au Prisoners de Denis Villeneuve et à la télésérie True Detective pour le caractère bestial de ses malfaiteurs, la fragilité de ses héros et les émotions brutes qu’il décharge, Nocturnal Animals est doublement saisissant et constitue une excellente leçon de métafiction. Certes, bien que Ford soit un esthète assumé, lui en tenir rigueur serait de très mauvaise foi. Loin d’agir en imposteur, il maîtrise les complexités du septième art et de la mise en scène avec toute l’assurance du monde, osant provoquer de temps à autre sans toutefois perdre de vue la raison d’être de l’œuvre.
A Single Man aurait dû suffire pour en convaincre les puristes, or le designer affirme une fois de plus son incroyable talent pour la direction d’acteurs, surtout par sa connexion avec les deux protagonistes interprétés par Gyllenhaal. À travers ces derniers, il explore le deuil sous toutes ses formes et propose surtout une réflexion éloquente sur le thème de la masculinité: cette pression absurde d’être le plus fort, physiquement comme émotionnellement, ainsi que ce rapport complexe que l’homme semble entretenir avec sa propre vulnérabilité. Le personnage de Shannon symbolise le conflit éternel entre justice et compassion, alors que celui de Taylor-Johnson représente l’être humain dans sa forme la plus perverse et primitive. Adams livre une autre exquise performance dans la peau de cette femme rigide et narcissique que l’on voit craquer doucement au gré des chapitres, suffoquant à petit feu dans la vacuité de sa rutilante cage de verre.
D’une beauté vertigineuse et confectionné avec raffinement par un artiste pour qui le style est une seconde nature, Nocturnal Animals a l’effet – faute d’une analogie plus élégante – d’un solide coup de poing droit aux viscères.
«We’re constantly bombarded with things. Buy this, you’re going to feel this way; get that, you’re going to be happy; have this and you’re going to get the guy of your life. Life is happy, life is sad, life is painful. I realize that I am one of the people creating all these products and I’ve often been very torn about that, and that’s what this film is about.» – Tom Ford
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Par Focus Features
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