ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : David Ospina
Le public visite l’entrée des artistes pour se rendre tout d’abord sur la scène, qui est masquée par des rideaux de plastique, comme dans un abattoir. Les acteurs accueillent tout le monde en offrant à la ronde des verres de vin, geste évoquant un vernissage. Une voix synthétique annonce que la représentation va commencer, puis énonce des vérités pseudo-profondes, pose des questions métaphysiques, et on se rend compte que les trois créateurs sont assis dans la salle, et nous regardent.
Une fois les rôles habituels rétablis, on nous raconte la genèse de l’œuvre à laquelle nous assistons, et l’historique des liens d’amitié qui unissent les compères. Puis, on nous présente la «machine à extraire la pensée», un fantasme tout droit sorti d’un roman de science-fiction. Un dispositif qui nous permettra de nous projeter dans le futur, alors que Benoît Gob, qui est aussi dessinateur, se rend à son dernier vernissage, n’ayant aucun souvenir de la quarantaine d’années qui vient de s’écouler.
La Chapelle, on le sait, rivalise d’audace dans sa programmation. Cette création hors-norme est pourtant l’une des plus accessibles qui nous est proposée par le petit théâtre de la rue Saint-Dominique, lieu d’exploration par excellence. La narration de Christel Olislagers, qui évoque un robot conversationnel comme Alexa, annonce les actes et nous berce jusqu’à l’hypnose, alors qu’une grande majorité du temps que dure l’expérience, les acteurs demeurent muets, mimant et dansant, ne paraissant guère surpris qu’une voix omnisciente vante leurs mérites.
Avec l’aide de la machine, nous plongeons au cœur des doutes et des angoisses du trio, à travers leurs projets, leurs voyages créatifs et leurs dépressions. Même la plus inébranlable des certitudes, analysée sous un angle fataliste, peut sans crier gare nous faire gémir de désespoir.
Lorsque la narration laisse place aux acteurs et qu’ils étalent sans pudeurs leurs doutes et leurs dégoûts, leurs hésitations de créateurs et leur fragilité, on touche à quelque chose de sacré et d’intime, une vulnérabilité assumée qui ramène un peu de chaleur au processus jusque là plutôt froid et synthétique. On trouve un cœur vivant dans la machine.
Rarement a-t-on vu une expérimentation plus captivante. Après les doutes morbides de Gob et les confessions de La Haye, Emmanuel Schwartz débarque sur scène en jouant de la guitare électrique, une image tout indiquée quand il proclame avec une délicieuse autodérision qu’il veut «changer le monde», se moquant de l’arrogance de certaines démarches, et rappelant à tous les spectateurs que l’humilité a bien meilleur goût.
La réflexion du groupe d’amis, qui ont entre autres bénéficié de l’habile dramaturgie d’Alice Ronfard, transcende carrément le commentaire élaboré sur les affres de la création et devient un habile miroir tendu vers le spectateur, une incitation à participer activement à une remise en question globale. Oui, le texte est à ce point pertinent – et terrifiant.
«L’exhibition» d'Emmanuel Schwartz en images
Par David Ospina
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de la rédaction