ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Suzanne O'Neil
Le décor est résolument moderne. Cuisine technologique, four et autres éléments de mobilier encastrés, îlot: autant d’incarnations de l’empressement qu’éprouvent certains à évacuer le passé, au profit des instruments et valeurs de la modernité. La maison d’enfance de Marie-Ève et Antoine a été revampée par le couple que forme ce dernier avec Maude depuis près de 18 ans. Ils en ont fait l’acquisition alors qu’ils s’apprêtent à adopter un enfant. Ce projet a requis de la part du couple qu’il transige sur certains de ses principes, notamment en consentant à s’établir en banlieue.
À l’occasion d’un souper organisé par Maude et Antoine afin que Marie-Ève leur présente sa nouvelle flamme, les hôtes découvrent avec consternation qu’il ne s’agit de nul autre que Rémi… l’ex de Maude.
Un souper aux accents de rituel
Près de vingt ans après leur idylle, le souvenir de Rémi demeure prégnant chez Maude. La tension s’installe: l’auditoire passe volontiers à table, le propos promet d’être délicieusement acide, un fumet appétissant de discorde s’en dégage.
À divers égards, un souper entre amis est pourvu d’une certaine quantité de codes et de règles. Ceux-ci lui confèrent un aspect de rituel: un décorum est de mise, certains propos ne sont pas admis…
Or, les rituels catholiques sont éventuellement abordés explicitement, Marie-Ève brandissant l’éventualité que l’enfant d’Antoine et Maude soit baptisé. Un dilemme se pose: celui de poursuivre ou non dans la veine catholique qui a irrigué notre société québécoise de son fiel «sexiste» aux dires de Maude. Celle-ci oppose un refus catégorique, se réclamant de la «raison» plutôt que de l’attachement à des rites sclérosés, dépourvus de leur sens originel à présent que le Québec a fait passer la religion à la trappe.
La progression de la pièce est également rythmée par de courts intermèdes qui renseignent sur le passé des personnages, ou encore établissent un parallèle entre des aspects de la situation qui les occupe et les sept sacrements catholiques.
Des promesses non honorées
Le contexte dans lequel est plantée la pièce était chargé de promesses: celles d’un humour caustique, d’interjections cinglantes. Pendant les premières minutes de la pièce, on se remémore avec appétit les comédies de Yasmina Reza, dont Carnage a été présenté au Trident il y a un an et demi, de même que Le Prénom en juin 2018 au Petit Théâtre de Québec.
Or, l’humour dont use l’autrice de la pièce, Isabelle Hubert, est plutôt léger, et le propos, trivial. Une déception croît: l’entente tacite qui avait été conclue à la découverte du contexte du souper, le pacte d’humour grinçant que scellait la situation initiale, est éventuellement rompu. Le ton volage et les blagues du repas ne repaissent pas. L’impression est plutôt que le potentiel ravageur et néanmoins éclairant d’une bonne dispute n’a pas été actualisé.
Le personnage de Marie-Ève (Catherine de Léan) est réjouissant: la vie prosaïque qu’elle mène (“«elle n’aime pas le pesto!»”) la rend touchante en comparaison du confort dans lequel se sont enlisés Maude (Marie-Hélène Gendreau, convaincante) et Antoine (Maxime Dénommée, dont on ne s’explique pas toujours les soubresauts d’humeur). Marie-Ève tente de justifier son attachement aux us de la religion et la trahison que représenterait pour elle le fait de les interrompre, alors que la société s’est délestée du catholicisme depuis quelques décennies déjà.
Incidemment, le traitement est superficiel. Le thème de la religion était porteur, riche de possibilités nombreuses. Il faut admettre qu’il s’agit d’un des sujets les plus tabous de notre société – plus tabou que ne l’est le sexe, sujet éculé s’il en est un. Un certaine dose de courage était requise pour oser l’aborder.
Mieux vaut peut-être ne pas prêter aux créateurs-rices l’intention de bousculer l’ordre des choses par le biais de la pièce. Si leur désir ne consistait qu’à nous dilater la rate, et à ce titre, c’est très bien réussi. Or, si leur ambition était d’atteindre la trinité – tête, coeur et rate -, force est d’admettre qu’elle n’y parvient qu’avec le coeur et la rate.
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Par Suzanne O'Neil
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