«Candide ou l’Optimisme» d’après Voltaire, mis en scène par Alice Ronfard au TNM – Bible urbaine

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«Candide ou l’Optimisme» d’après Voltaire, mis en scène par Alice Ronfard au TNM

«Candide ou l’Optimisme» d’après Voltaire, mis en scène par Alice Ronfard au TNM

La censure ne gagnera pas

Publié le 21 septembre 2018 par Alice Côté Dupuis

Crédit photo : Yves Renaud

Ce n’est pas ce que vous pourriez vous imaginer si vous avez lu le Candide de Voltaire durant votre parcours scolaire. Ce n’est pas non plus ce à quoi on s’attendrait d’une reprise d’un pareil grand classique. À l’instar des comédiens invités par Voltaire qui souhaitent pousser la réflexion de l’auteur à un niveau supérieur, c’est plus loin, voire plus en complexité que nous amène Pierre Yves Lemieux avec son adaptation du conte philosophique Candide ou l’Optimisme, mis en scène par Alice Ronfard et présenté sur la scène du Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 6 octobre 2018.

Dans cette version imaginée par Pierre Yves Lemieux, en effet, on retrouve sur scène l’auteur Voltaire, en compagnie d’invités tous plus singuliers les uns que les autres: Madame Denis (Valérie Blais), grande complice de Voltaire, avec une relation toutefois ambigüe, Armand Lebault (Patrice Coquereau), ce grand acteur de la Comédie-Française, Mademoiselle Adrienne (Larissa Corriveau), une amie comédienne, et Wagnière (Benoît Drouin-Germain), adjoint et bras droit de l’auteur.

Ayant chacun appris les répliques des personnages leur ayant été attribués, chacun se lancera avec force passion dans une interprétation maison du conte philosophique devant Voltaire, afin de faire entendre à celui-ci son récit et qu’il puisse décider s’il le publie.

Mais avant cette mascarade où chacun prend un plaisir fou à jouer, dans tous les sens du terme, cette incroyable épopée qui mènera les personnages dans d’innombrables pays aux côtés d’aussi nombreux et colorés personnages, il y a cette introduction, une sorte d’avant-propos servant à poser les bases de la démarche de Voltaire. Ces références au grand poème sur le tremblement de terre de Lisbonne permettent de cerner tout de suite l’incompréhension de Voltaire face à la misère et aux horreurs du monde, mais aussi tout le cynisme qui l’habite quant à la supposée perfection de Dieu. Tout ceci est la genèse même de Candide: tout au long de la présentation de ce conte philosophique, on la sent et on le perçoit, cette amertume et ce dégoût du monde.

Derrière les rires et les numéros aussi colorés que comiques, c’est la reine ironie qui masque des propos d’une grande lucidité.

L’idée de contextualiser l’œuvre en s’attardant sur le parcours et sur la vie de son auteur est brillante, d’autant plus que son personnage, Candide, vit le même sort que Voltaire: exilés de leur demeure pour une sorte de mauvaise conduite, les deux se cherchent un nouveau chez-soi. C’est dans cette ambiance de vulnérabilité que Voltaire souhaite entendre son texte joué, car il doute qu’il soit pertinent de le publier. Et c’est là que tout le plaisir commence.

On ne reconnaît plus Larissa Corriveau lorsqu’elle interprète Paquette, et on est impressionnés par les habiles manipulations de manteaux par Benoît Drouin-Germain, en Candide, qui les fait devenir tantôt un mouton, tantôt un cheval. Leurs prouesses physiques sont presque impossibles, et la mise en scène dynamique d’Alice Ronfard donne toute la place aux comédiens afin qu’ils se laissent aller dans leurs belles folies. Les costumes et les décors sont assez simples, mais de façon plutôt ingénieuse, on les a rendus très polyvalents, ce qui ajoute à l’étonnement. Mais ce qui épate le plus, et qui est presque déstabilisant, ce sont ces changements de registres et de niveaux de jeu si soudains entre le «jeu» (l’interprétation de l’oeuvre) et le commentaire sur le texte.

C’est que, par moments, les comédiens (qui jouent les personnages du conte philosophique) sortent de leur interprétation pour livrer quelques observations ou protestations à l’endroit de Voltaire au sujet de ce qu’il a écrit. Ces confrontations entre les collaborateurs et l’auteur, durant lesquelles celui-ci doit justifier et expliquer ses idées, demeurent, malgré la flamboyance du reste, ce qu’il y a de plus intéressant, tant du point de vue théâtral que pour les spectateurs, qu’on amène à réfléchir davantage sur certains sujets.

On en aurait d’ailleurs pris plus, de ces arrêts de jeu et de ces obstinations, parce que Voltaire est si pris par son conte, si émotionnellement impliqué – parce que c’est un peu, beaucoup de lui-même –, et qu’Emmanuel Schwartz, son interprète, personnifie si bien ces envolées passionnées chaque fois qu’il doit défendre ses idées, qu’il se passe à tout coup une magie particulière.

Bien sûr, il y a certaines inégalités; on n’irait pas jusqu’à dire que le spectateur est pleinement captivé tout au long du spectacle, et la participation de Voltaire au jeu de ses amis invités est parfois floue. Ses comédiens continuent-ils de jouer comme si de rien n’était alors que Voltaire leur parle, ou celui-ci prend-il soudainement un petit rôle qu’on ne nomme jamais? Il est aussi dommage de constater que, malgré le grand niveau de jeu des comédiens, Patrice Coquereau soit ainsi sous-employé vis-à-vis ses confrères, d’autant plus qu’il a le talent pour porter de grands numéros colorés lui aussi. Malgré tout, ce Candide ou l’Optimisme est un beau délire, plein d’humour et franchement délectable.

Faut-il connaître la vie de Voltaire pour bien saisir tout ce que cette proposition de Pierre Yves Lemieux implique et signifie? Pas tout à fait, mais il est indéniable que la compréhension de toutes les subtilités en serait plus aisée. Est-ce qu’on sent suffisamment la lente prise de possession de Candide de sa propre pensée, son ascension vers la connaissance, la lucidité et la pensée critique? Au rythme où se succèdent les scènes et les prises de parole, et ses observations ainsi diluées dans toutes ces mises en scène et ces bouffonneries, difficile de l’affirmer. En revanche, dans cette version de Lemieux, c’est la progression de la pensée de Voltaire qui est intéressante et qui vole la vedette.

«Il faut cultiver notre jardin», la phrase phare de ce roman, est bien la seule chose de ce texte qui ne trouve plus d’échos aujourd’hui et qui semble passé de mode. C’est qu’il y a, dans ce Candide ou l’Optimisme, tant de répliques qui auraient pu être déclamées aujourd’hui qu’on en vient à se demander jusqu’à quel point Pierre Yves Lemieux a remanié le texte. D’une actualité et d’une pertinence ahurissantes, les réflexions sur la censure et sur la liberté d’expression en habiteront plusieurs pendant quelques jours.

Et si la morale veut qu’il vaille finalement mieux rester chez soi et travailler que de parcourir le monde à la recherche de réponses, il est intéressant de constater que le fil conducteur de la réflexion de Voltaire à savoir s’il publie ou non nous conduise à un Voltaire vulnérable, incertain, divaguant peut-être, en finale, qui se demande qui il est, mais surtout où il est. S’il n’a pas trouvé sa route, il a certainement trouvé sa voix, comme en témoigne le monologue final qui affirme «Nous parlerons…» 

Bien que même ses proches collaborateurs aient tenté de modifier les passages plus controversés de son conte, la censure ne gagnera pas; Voltaire s’est bien fait comprendre.

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Par Yves Renaud

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