ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Emmanuel Burriel
Pour promouvoir la pièce, les artisans-nes des Chapitres de la chute ont misé sur l’engouement que suscitent les séries télévisées, l’intrigue de celles-ci se prolongeant allègrement sur de nombreux mois, voire années. Or, le succès de la pièce, à l’instar de telles séries, tient en la richesse des personnages qui en peuplent le récit.
À ce titre, le jeu des membres de la distribution de Chapitres de la chute est unanimement juste. Celui du trio initial des frères Lehman, composé de Maxime Perron, de Jean-René Moisan et de Vincent Champoux, l’est tout spécialement: leur connivence est manifeste. Soulignons également l’immense présence d’Annabelle Pelletier-Legros sur scène. Tous et toutes rivalisent de vigueur et de versatilité pour parvenir à camper l’ensemble des rôles de la distribution. Alors que la fatigue vient forcément à caler les spectateurs-rices dans leur siège, l’énergie que déploient les interprètes devant soi force l’admiration.
L’érection d’un empire
La pièce relate l’échafaudage de l’entreprise Lehman en Amérique. La célèbre famille juive originaire d’Allemagne a émigré aux États-Unis au milieu du 19e siècle. Jetant d’abord son dévolu sur le coton, puis sur le café, le combustible et les chemins de fer, l’entreprise a éventuellement rejoint le secteur de la finance. On observe les personnages, dévorés par la cupidité, cheminer vers un enrichissement matériel toujours plus considérable.
La famille s’est montrée résiliente, poursuivant résolument sa montée en dépit de la Guerre de Sécession et du Krach de 1929. Or, la chute de la Banque d’investissements Lehman Brothers en 2008 n’en aura été que plus vertigineuse.
Au fil de répétitions, de mots et d’expressions exacts repris en écho par différents personnages, une sorte de frise se profile contre l’immense fresque familiale Lehman: de génération en génération, tous semblent ainsi placer l’entreprise familiale au-dessus du reste, laissant pour compte les membres de leur entourage – nommément, les épouses des commerçants / financiers. Quelques-uns sont éventuellement livrés à une sorte de questionnement existentiel: la quête effrénée de l’accroissement de la fortune familiale perd son sens. Les doutes qui se sont installés dans leur esprit n’ont toutefois pas eu raison de l’appât du gain familial, puissant moteur dont le cahotement a terrassé l’économie mondiale il y a dix ans.
Des projets qui rallient le public à la réflexion
Avec Chapitres de la chute, Olivier Lépine signe la mise en scène d’un texte de l’italien Stefano Massini pour la deuxième fois. En 2014, la compagnie avait réjoui le public de Québec avec Femme non-rééducable / Anna P., une pièce consacrée à la journaliste russe Anna Politkovskaïa assassinée en 2006, présumément en raison de la couverture qu’elle effectuait en Tchétchénie. De tels projets à caractère politique et historique soumettent au public des questionnements nécessaires. Celui-ci est spécialement interpellé dans Chapitres de la chute: l’équipe abat volontiers le quatrième mur, des éléments de narration étant nommés, des questions demeurant en suspens…
La pièce, en outre, n’est pas sans rappeler L’Art de la chute, présentée il y a deux ans au Périscope et ramené sur les planches de la Licorne cette saison. L’équipe avait mis en scène le chassé-croisé des acteurs-rices du marché de l’art.
On souhaite aux Chapitres de vivre un succès aussi prolongé que celui de cette production des Nuages en pantalons.
«Chapitres de la chute – Saga des Lehman Brothers» en 7 photos
Par Emmanuel Burriel
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