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Crédit photo : Festival international de films Fantasia
Faites connaissance avec Joseph Kahn, virtuose du vidéoclip
Originaire de Busan, en Corée du Sud, le réalisateur Joseph Kahn n’est pas vraiment connu pour son cinéma de fiction. Véritable sommité du vidéoclip, on l’admire plutôt pour sa collaboration avec les plus célèbres artistes pop et hip-hop de notre génération, incluant Snoop Dogg, Destiny’s Child, Ice Cube, Britney Spears (il a réalisé Toxic!), 50 Cent, Janet Jackson, Muse, The Black Eyed Peas, Lady Gaga… Et, bien sûr, Eminem, qui fait office de producteur pour Bodied et dont l’incontournable Without Me aura valu à Kahn son premier prix Grammy en 2003.
Joseph Kahn présentera Bodied en personne au public de Fantasia ce soir et prendra part à une séance de questions après la projection.
Une satire subversive, voire effrontée
Bodied met en scène le jeune Calum Worthy – à des années-lumière de ses contrats au Disney Channel – dans le rôle d’Adam, un petit rouquin de bonne famille ayant choisi d’étudier, pour sa thèse universitaire, l’utilisation du N-word dans l’univers du slam et du rap compétitif. Audacieux, vous dites? Vous n’avez encore rien vu.
Entouré à la fois d’acteurs et de vrais rappeurs (dont Dumbfoundead, Illmaculate, Charlamagne tha God et Dizaster), il plonge à pieds joints dans une culture où racisme, sexisme et liberté d’expression s’affrontent perpétuellement à coups de joutes verbales plus féroces les unes que les autres. Soyez-en avertis, Bodied se tient loin du politiquement correct, mais ne sous-estime jamais l’intelligence ni le sens de l’humour de son public.
La bande-annonce officielle vous en propose d’ailleurs tout un avant-goût…
L’effet Eminem, ou le triomphe des sous-estimés
Un jeune blanc aspirant rappeur dans un long-métrage produit par Eminem? Naturellement, on se demande comment celui-ci se compare à 8 Mile. À cela, deux éléments de réponse: d’une part, Adam étant éduqué et socialement privilégié (quoique tout aussi malavisé), il n’a vraiment rien d’un jeune Marshall Mathers, et sa présence dans ces arènes sombres où dominent les hommes noirs en paraît encore plus inappropriée.
D’autre part, Bodied s’élève bien au-delà du récit biographique de type zéro à héros. Foncièrement contemporain, il ne veut pas simplement offenser pour offenser, mais pour susciter une réflexion pertinente sur le climat politique actuel, la question féministe, et cette nouvelle forme de racisme qui se définit si bien par la phrase encore trop courante «Je ne suis pas raciste, mais…»
Cela dit, ce nouvel opus de Joseph Kahn fait tout honneur à son éminent producteur (pardonnez le jeu de mots) et vous réserve un acte final retentissant, apothéose d’un long poème bouillonnant de rage et d’énergie, à voir absolument.