LittératurePolars et romans policiers
Crédit photo : Actes Sud
Alors qu’il n’a qu’une envie en tête, profiter de son vendredi soir pour sortir et boire un verre avec un collègue de travail, Maehara Akio, un employé de bureau tout ce qu’il y a d’ordinaire, reçoit un appel de sa femme Yaeko, avec qui il est marié depuis dix-huit ans, qui semble, la pauvre, en état d’alerte rouge à l’autre bout du fil. Du déjà-vu. Pour lui. De fait, elle insiste fortement pour qu’il rentre immédiatement à la maison, prétextant qu’il s’est passé quelque chose de terrible et qu’elle ne peut lui en dire plus au téléphone. Perturbé, avec un soupçon de colère contenue dans la voix, Maehara raccroche en lui disant qu’il s’en vient immédiatement. Ce qu’il découvrit une fois arrivé chez lui dépasse tous les scénarios qu’il a pu s’imaginer en chemin…
Comme vous, mon intérêt a été accroché solidement, littéralement comme un ver à l’hameçon, par ce résumé punché qui prouve, encore une fois, que Keigo Higashino ne lésine pas avec le suspense. Tel un Jackson Pollock de la machine à écrire, il en déverse bien généreusement une bonne dose sur un canevas jusqu’alors vierge. C’est qu’il sait manier, en bon marionnettiste des mots, plusieurs ficelles à la fois: un lever de rideau mystérieux et flou, un enchevêtrement de portraits psychologiques qui nous donnent une rapide idée des personnages et de leurs états d’âme, une mise en tension progressive, jusqu’à l’effet-choc, surnommé le climax. C’est ensuite que s’ouvrira une longue parenthèse de quelques centaines de pages sur une enquête policière où, comme à son habitude, le lecteur est pris à témoin, connaissant déjà l’identité du tueur, hormis le mobile du meurtre qui reste un mystère. Le grand mystère. Et la longue parenthèse se referme.
Fini les jeux de cache-cache à la Agatha Christie ou à la Conan Doyle; il déteste cette habitude qu’ont les auteurs de romans policiers à jeter le dévolu sur l’un ou sur l’autre, ou sur celui-ci ou sur celui-là, dans le but évident, et déjà-vu, certes, de brouiller les pistes pour que le lecteur ne sache plus qui est innocent et qui est coupable. Plus ingénieux, l’auteur japonais nous dévoile d’ores et déjà qui est le coupable, mais il se plaît à nous laisser miroiter devant une étendue de scénarios – pratiquement les mêmes traversant l’esprit de son enquêteur, histoire qu’en fin de parcours, on sache enfin ce qui s’est réellement passé. Et c’est d’autant plus amusant qu’on se plaît littéralement à prendre plaisir à ce petit jeu de voir le tueur et ses complices s’embrouiller auprès des policiers… tout en se demandant à quel moment ils vont se mettre les pieds dans les plats.
Keigo Higashino s’est donc offert le plaisir, après des enquêtes plus denses (notamment La lumière de la nuit qui fait plus de six-cents pages!), de revenir à un style narratif sobre, limite «nothombesque», avec un phrasé succinct, froid et indolore qui a le mérite d’aller droit au but à défaut d’égayer les sens des lecteurs plus friands de styles. Avec ses quelque deux-cent-trente pages, Les doigts rouges est le mini thriller de l’été, surtout pour ceux qui ont adoré Un café maison ou Le dévouement du suspect X. C’est probablement et d’après moi l’un de ses meilleurs romans écrits jusqu’à présent.
«Les doigts rouges» de Keigo Higashino, Éditions Actes Sud, collection Actes noirs, 237 pages, 42,95 $.
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de la rédaction