SortiesDanse
Crédit photo : MUTEK Montréal
L’excitation est à son comble au moment où le directeur artistique de MUTEK, Alain Mongeau, monte sur scène pour présenter le résultat de deux ans de travail en collaboration avec le créateur d’art numérique Daito Manabe et la chorégraphe MIKIKO.
Cinq danseuses font ensuite leur entrée, chacune devant un écran rectangulaire autoportant, toutes habillées de blanc. Doucement, la musique électronique s’élève. C’est un mélange de sons de différentes machines, une harmonie captivante entre la musique et le numérique. Une ambiance futuriste s’installe. La lumière stroboscopique donne une allure robotique aux mouvements qui, soudainement, se dédoublent dans une chorégraphie projetée sur les écrans individuels. Des points et des lignes répondent aux corps en mouvement créant une nouvelle forme dansée en interaction avec les danseuses. Capture de mouvement et apprentissage automatique dans une programmation de chiffres, voilà ce qui crée une dimension nouvelle sur la scène. La danse interagit avec la machine.
Au commencement, on arrive à deviner les astuces technologiques derrière la chorégraphie. Mais dès le deuxième tableau, un solo nouveau genre, on est bluffé. Une caméra sur la tête, la danseuse exécute une chorégraphie précise, mais sur l’écran mural derrière elle, l’image que la caméra projette est tout autre. Avec elle, comme une présence invisible, un personnage virtuel danse. C’est intrigant et soudainement, le virtuel habite l’espace d’une ingénieuse façon.
Le troisième tableau invite les quatre autres danseuses à, elles aussi, interagir avec leur double virtuel, mais cette fois-ci c’est un caméraman qui filme la scène. Cinq corps numériques plutôt qu’un sont désormais formés sur l’écran derrière les danseuses. Celles-ci dansent avec leur double brouillant la frontière entre le réel et le virtuel comme jamais vu auparavant.
Et puis, le caméraman sort, l’écran derrière s’éteint, et les danseuses reprennent possession de l’espace et de leur corps, comme de nouveau maîtresses d’elles-mêmes. Ce moment souligne la dichotomie entre les deux univers du spectacle. Malgré le savoir-faire et l’exécution artistique, le mélange entre l’art et le numérique reste étrange. Il soulève une tonne de questions éthiques sur notre relation avec l’univers abstrait des données, de la programmation et de l’interactif. Les machines peuvent-elles servir à créer de la poésie? Si oui, n’est-ce pas là l’essence de l’humain qui se divise, ou se multiplie, sous de nouveaux traits? Sommes-nous conscients de ce que cela implique?
Toutes ces questions se bousculent dans ma tête alors que le spectacle se termine. Visuellement transcendant et réellement inquiétant, je suis debout et j’applaudis la prouesse de cette fusion prodigieuse entre l’humain et la machine. Des chiffres qui dansent. L’irréel qui valse avec le corps. Qu’est-ce qu’un corps? Une série de cellules? Qu’est-ce qu’une cellule? Une suite d’unités produisant de l’énergie? L’humain n’est-il pas une figure complexe d’organismes minuscules et discrets qui exécutent une belle et longue chorégraphie?
Où se trouve la frontière entre nous et le virtuel?
Je pense savoir: au cœur de ce spectacle.
L'avis
de la rédaction