«Invisibles» de Guillaume Lapierre-Desnoyers au Théâtre La Licorne – Bible urbaine

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«Invisibles» de Guillaume Lapierre-Desnoyers au Théâtre La Licorne

«Invisibles» de Guillaume Lapierre-Desnoyers au Théâtre La Licorne

Déterrer les os

Publié le 1 mars 2018 par Pierre-Alexandre Buisson

Crédit photo : Éva-Maude TC

La violence faite aux femmes, en Amérique du Nord, est un sujet plutôt vaste qui occupe une très petite place dans nos médias, mais qui devrait cependant nous alarmer davantage. C’est le principe de départ de ce texte de Guillaume Lapierre-Desnoyers, mis en scène par la prolifique Édith Patenaude – un texte qui explore autant la soif de liberté qu’on ressent à l’adolescence que l’impact psychologique des fugues sur les familles.

Chloé (la très convaincante Noémie O’Farrell) a 15 ans, déteste sa mère, la traite ouvertement de folle, et est habitée par une panoplie d’émotions contradictoires qu’elle a bien du mal à gérer. Elle s’imagine que la solution est de fuir, et part sur le pouce vers les États-Unis. Au fil des kilomètres, elle apprendra à se méfier des hommes qui l’aident, qui veulent bien souvent quelque chose en échange, et elle rencontrera Stacey (Alice Moreault), une fille un peu sauvage qui en a vu d’autres et qu’elle apprivoisera progressivement.

Pendant ce temps, en banlieue, sa mère (Josée Deschênes) repasse sans cesse dans sa tête le film de ses échanges avec elle, en se demandant à quel moment elle a échoué dans son rôle de mère. Les mois, puis les années défilent, et l’inspecteur assigné au dossier de Chloé (Steve Laplante), hanté par ses recherches, refuse de déclarer forfait.

Il y a beaucoup à digérer ici: le sentiment d’impuissance des parents, la colère des adolescentes qui en viennent à croire que cette dangereuse vie nomade est préférable à la chaleur du cocon familial, la vulnérabilité des fugueuses, et l’indifférence généralisée qui est souvent provoquées par le nombre ahurissant de disparitions de jeunes filles.

C’est les traits tirés et la larme à l’œil que Laplante nous balance des statistiques horrifiantes, habité par le drame, rongé par les multiples scénarios nihilistes qui défilent dans son esprit.

La fatigue de Chloé, accentuée par les nuits qu’elle passe en état d’alerte constante, la rend pâteuse et peu réactive; la camaraderie qu’elle développe avec Stacey prendra des allures de bouée de sauvetage, de soupape de sûreté dans un monde sous pression. Alice Moreault incarne admirablement à la fois la liberté et ses conséquences, nonchalante et farouche, déjà un peu brisée par les soirées qui s’éternisent dans les stationnements de truck stops.

La scène, bien divisée par Patrice Charbonneau-Brunelle qui en signe la conception, propose un espace pour chaque personnage, espace qu’ils quitteront rarement. Au centre de la scène se trouve un plan incliné qui agit comme un écran de peep show, au centre duquel les actrices se reposent entre les segments et où sont projetées des vidéos oniriques de road trip idéalisé, signées par Éva-Maude TC. On a donc droit à la version romantique de la bouche des filles, puis à la brusque vérité dans les envolées de l’enquêteur, qui ne ménage pas les détails gores et les anecdotes de viols, la voix brisée.

La mise en scène très sensible d’Édith Patenaude fait en sorte que le récit se développe avec fluidité, ses éléments s’emboîtant harmonieusement jusqu’à une finale qui, bien qu’elle n’épargne pas tous les personnages, nous permet tout de même de déceler un peu d’espoir au sein de toute cette noirceur.

L'événement en photos

Par Éva-Maude TC

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