ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Jonathan Lorange
L’héritage politique de ce personnage historique est remis en question depuis quelques mois, et pas que dans nos rues; dans le Wild West Show de Gabriel Dumont, il est présenté comme un colonialiste arrogant, et même si on nous y offre deux perspectives distinctes sur un évènement qui s’apparente à un génocide indigène lors de la bataille de Batoche, Saskatchewan, en 1885.
C’est à ce moment de notre histoire canadienne que cette pièce fort jouissive et impossible à définir s’intéresse. Lorsque Gabriel Dumont, fougueux métisse et chasseur de buffles, s’est allié à Louis Riel pour combattre le colonialisme britannique et les forces de Macdonald, qui considéraient les propriétaires et cultivateurs se trouvant sur leur chemin comme de simples et sauvages squatteurs.
Une leçon d’histoire d’une durée de 2h40 pourrait facilement être indigeste, mais l’ingéniosité et la joie de vivre de la dizaine de dramaturges qui ont collaboré au texte rendent l’aventure très plaisante. Et l’enchantement commence dans le lobby, avant la pièce: Alexis Martin et Jean-Marc Dalpé, vêtus de leurs habits de crieurs publics, distribuent du popcorn au public et nous donnent un avant-goût de l’esprit de folie que dégage ce spectacle. Ils agiront d’ailleurs non seulement comme maîtres de cérémonie, mais seront aussi savamment intégrés au récit.
La tradition des Wild West Shows remonte à 1883 et est imputée à Buffalo Bill, qui est parvenu à créer un phénomène itinérant qui comptait, dans ses beaux jours, jusqu’à un millier de performeurs qui recréaient des moments historiques en mélangeant du cirque, des démonstrations d’habileté, du théâtre et du rodéo. Gabriel Dumont, après sa défaite à Batoche, en est d’ailleurs devenu l’un des participants.
Ce que nous offre ici le collectif qui a monté ce spectacle de variétés – car, même si la trame narrative est d’une cohésion sans faille, ça reste présenté dans une forme complètement éclatée – est un pur fantasme de divertissement; un alliage délirant de drame historique, de comédie musicale, de cabaret burlesque, de soirée du hockey et de quizz télévisé. Avec une musicienne sur scène, des acteurs qui interprètent plusieurs personnages à la fois, d’innombrables changements de costumes, et tout ça sans aucune ombre de confusion pour le spectateur, lui qui se contentera d’être admiratif et émerveillé.
Et puisqu’il y a des Britanniques, des métisses, des Amérindiens et des francophones mis en scène, le spectacle est présenté dans six langues. La perspective de chacun des peuples ayant participé à ce moment d’histoire est aussi représentée, et les origines des interprètes sont aussi variées qu’étourdissantes. Il faut absolument souligner la dégaine de hors-la-loi de Charles Bender en Gabriel Dumont, la prestance implacable de Gabriel Gosselin dans la peau de Louis Riel, l’aspect caméléon et étourdissant des divers personnages joués par Chancz Perry, et un Alexis Martin totalement hystérique dans la peau d’un prêtre quasi possédé.
Le message de la pièce ne s’arrête toutefois pas au divertissement, et la rigueur de la mise en scène de Mani Soleymanlou nous le souligne admirablement: on nous relate un moment parmi tant d’autres où le pouvoir colonial a écrasé un peuple et a presque éradiqué sa culture.
La finale, douce-amère, agit en ce sens comme une rupture de ton qui nous permet de quitter la salle du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui avec ce qui ressemble fort au début d’une piste de réflexion et la nette envie d’en savoir plus sur ce pan de notre histoire.
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Par Jonathan Lorange
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