ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Stéphane Bourgeois
Joé Ferguson a assassiné la directrice de son école secondaire, sœur Laurette, avant de se tuer lui-même. Deux morts dans le village, c’est du jamais vu, et Camille en profite pour venir de Montréal afin d’analyser la situation et poser des questions aux villageois afin d’alimenter son mémoire de maîtrise en criminologie, et ce, à propos de l’impact des crimes graves en milieu rural.
On y est donc: une Montréalaise un peu centrée sur elle-même, qui ne trouve pas d’imprimante compatible avec son Mac, et qui fait des appels téléphoniques à sa mère surtout pour pouvoir parler à son chat. Celle-ci débarque dans un village, tellement plongée dans son sujet de recherche qu’elle ne cherche pas réellement à s’intéresser et à tisser des liens avec les gens qu’elle rencontre, dont elle aimerait pourtant tirer plusieurs confessions et témoignages.
De son côté, Joé Ferguson, c’est un petit gars pas vraiment du coin, mais plutôt de Dumouchel, le trou des trous des villages. Dans la municipalité où le meurtre a eu lieu, on cherche à se distancier le plus possible de ce petit criminel, qui vient d’une famille dysfonctionnelle où violence, consanguinité, viol, inceste et pauvreté sont monnaie courante, de ce petit rejeté et intimidé à l’école, qui finit par devenir sans-abri à 19 ans tellement personne ne veut de lui.
La vérité, c’est qu’en voulant opposer la ville aux villages, en voulant dépeindre la relation des gens de région avec les étrangers et la dynamique entre habitants d’une même communauté, Isabelle Hubert est tombée tête première dans les clichés et les stéréotypes les plus flagrants. La complexité et la psychologie derrière le crime n’auraient-ils pas été beaucoup plus riches si le meurtrier n’avait pas connu tout ce qu’il est possible d’imaginer quand on pense à une vie misérable? C’est parce qu’il n’a pas connu l’amour et une vie de famille saine que le jeune Joé a posé ce geste? Trop facile. Tout comme il est dommage d’être tombé dans le cliché de la fille de la ville qui débarque en région avec sa bonne volonté, mais qui ne comprend rien à la dynamique de la campagne.
Malgré tout, le texte pose des questions importantes au sujet du pardon et de l’empathie, de la mort et de l’impact de l’environnement et de l’entourage sur les personnes. On est dans un grand réalisme, rien ne dépasse de ce texte, et c’est aussi dans cet esprit que Jean-Sébastien Ouellette a créé sa mise en scène et a, surtout, dirigé ses comédiens. Car c’est bien là la force de cette production présentée au Trident: la polyvalence et l’efficacité des décors servant à évoquer différents lieux du village grâce à des panneaux et modules coulissants, mais aussi, et surtout, la qualité du jeu des interprètes.
C’est d’abord Steven-Lee Potvin, d’un naturel presque désarmant, qui surprend dès sa toute première apparition et de façon soutenue tout au long de la pièce, avec sa fluidité et son aplomb impressionnants. Égale à elle-même, Sylvie Drapeau présente une Dorothée très incarnée et solide, quoiqu’un peu froide pour une thanatologue qui doit aussi accueillir les familles en deuil, tandis que Joëlle Bond porte bien sur ses épaules le fil conducteur de l’histoire, en incarnant la jeune étudiante qui va à la rencontre de tous les autres personnages pour trouver des réponses à ses questions. Valérie Laroche, quant à elle, passe habilement par plusieurs émotions et niveaux de jeu en interprétant tantôt Valérie, l’amère secrétaire de l’école, tantôt Marielle, la pauvre mère de Joé Ferguson.
Cette secrétaire, d’ailleurs, offrira une scène de confession vers la fin qui, malgré sa longueur et quelques éléments qui peuvent sembler superflus au récit, cherche à boucler la boucle de ce personnage refermé et qui ouvrira la porte à une toute nouvelle compréhension de la dynamique de village et de l’histoire de Joé Ferguson. Il est d’ailleurs étonnant de constater à quel point l’histoire de ce village, comme tant d’autres, fait écho à des histoires qui se passent même en ville, même partout, même récemment… C’est que la loi du silence est puissante, et on comprend bien que ceux qui entendent des ouï-dire ne se sentent pas la légitimité de dire tout haut, de parler, de dénoncer. Mais finalement, tous les habitants du village ont un peu leur part de responsabilité dans ce qui est arrivé à Joé, en partie puisqu’ils savaient et se sont tus.
Car bien que personne ne semble vouloir parler à Camille, les spectateurs, eux, finissent par savoir pas mal tout en ce qui concerne Joé, grâce à des témoignages directement au public, les personnages isolés par des éclairages ciblés, tantôt se répondant, tantôt se complétant, parfois même en parlant en même temps. «Ils en parlent; ils en parlent même sans arrêt! Mais ils en parlent entre eux autres…», dira Dorothée à Camille, en lui souhaitant bonne chance pour son mémoire, et c’est bien ce qu’a réussi à illustrer Jean-Sébastien Ouellette grâce à sa mise en scène bien dosée entre la lourdeur des tabous et des non-dits, et les relâchements de quelques scènes comiques, qui passent notamment par le charmant Dereck de Steven-Lee Potvin.
«On a toujours le choix dans la vie», affirmera ce même Dereck, cherchant à se déculpabiliser et à se distancier de Joé, dont il savait pourtant, comme tout le monde, les difficultés auxquelles il a même contribué lui-même. En vivant dans le déni et l’hypocrisie, en alimentant les préjugés négatifs au sujet de ce jeune homme, les personnages se montrent aussi mauvais que lui. Alors qu’ils s’indignent que leurs proches passent l’éternité aux côtés d’un meurtrier au columbarium, les habitants du village, eux, passeront toute leur vie avec de véreux complices: eux-mêmes.
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Par Stéphane Bourgeois
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