ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Jean-François Hamelin
Il y avait longtemps qu’on n’avait pas vu Marc Messier sur les planches dans autre chose que Broue et, même si c’est difficile à concevoir, il n’avait jamais, avant de revêtir l’imperméable fatigué de Willy Loman, joué un premier rôle dramatique au théâtre en 45 ans de carrière. Voilà un tort considérable qui a enfin été redressé.
Willy Loman est un commis voyageur vieillissant qui arpente la Nouvelle-Angleterre et qui passe de longues semaines loin de sa famille. Ses aptitudes pour la vente ne sont plus ce qu’elles étaient, et sa position auprès de ses employeurs est précaire. Il a deux fils, deux gars au futur autrefois prometteur, qui ont opté pour une vie sans grande envergure; Happy (Mikhaïl Ahooja) pourchasse sans relâche le plaisir éphémère des rencontres sans lendemain, et Biff (Éric Bruneau) s’est exilé dans l’ouest, croyant y obtenir meilleure fortune, mais vivotant d’un boulot médiocre à l’autre. Linda, mère aimante et femme dévouée, existe par procuration à travers les aventures des hommes de sa vie.
C’est un rôle à la fois ingrat et tragique pour Louise Turcot, qu’on a découvert au début des années 70 dans des classiques grivois comme L’Initiation, Deux femmes en or ou Les Chats bottés. Elle incarne ici la voix de la raison, déchirée entre les illusions de grandeur qu’entretient son mari envers ses fils, et les incessants mensonges de ces derniers. Un culte malsain du paraître et de l’image projetée qui, on le comprend, se transmet de père en fils.
On ressent la détresse et la fatigue de Linda, qui passe beaucoup de temps assise à la sempiternelle table de cuisine, résignée à arbitrer d’incessantes disputes, rabrouée et constamment interrompue par son mari.
La mythomanie ordinaire de Loman est bien rendue par Messier, qui insuffle une énergie pétrie de démence épuisée au personnage, qui dort rarement malgré sa fatigue extrême et qui hallucine son frère décédé un peu partout, tout en s’apitoyant sur ses mauvais choix du passé. Il est aussi légèrement paniqué de voir ses fils, qui ont pourtant un énorme potentiel, faire des choix de vie aussi désastreux. L’immense décor appuie son sentiment d’écrasement alors qu’il est criblé de dettes, qu’il n’a plus aucune valeur aux yeux de ses employeurs, et qu’il croit fermement que ses fils ne l’aiment pas.
La mise en scène de Serge Denoncourt est traditionnelle mais maîtrisée, nous révélant peu de surprises en un peu plus de deux heures de récit, mais menant ce dernier de main de maître. Le traitement classique réservé à une pièce possédant une telle renommée est un choix fort respectueux et ça se sent dans les décors et les costumes; le récit et les dialogues parlent d’eux-mêmes.
On ne peut cependant s’empêcher d’imaginer ce qu’aurait donné une version un peu plus concise où les multiples engueulades familiales dureraient moins longtemps et connaîtraient un peu moins de développements qui, disons-le franchement, n’amènent pas toujours d’éléments pertinents au récit.
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Par Jean-François Hamelin
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