ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Philippe Latour
On a malheureusement tous une amie (d’une amie) à qui c’est arrivé. Se faire suivre dans la rue, tard le soir, quand on est un peu éméchée. Ça ne se solde pas toujours par une attaque, mais l’expérience n’en perd pas pour autant son aspect profondément désagréable. Rachel Graton, dans ce texte innovateur plein de moments forts, explore ici «l’après», lorsque des fragments de souvenirs refusent de se ressouder, quand le traumatisme est vif et que les bribes d’images sont prisonniers d’une brume insondable.
Cinq acteurs peuplent la scène, immobiles et debout, et récitent des segments de rumeurs. Ce que se racontent les voisins prend des proportions inimaginables, les détails se gonflent et se déforment; il y a de la compassion, du jugement et une laideur abjecte. On est sincèrement surpris de reconnaître autant de clichés dont la superposition impressionne. Ces «rumeurs» révèlent plusieurs aspects fort discutables de la «sagesse populaire» notre société, et la critique est abrasive. Après cette introduction coup-de-poing, la pièce est divisée en chapitres, qui détaillent les procédés judiciaires en vigueur après une attaque.
Le choix de laisser flous les détails à propos de ce qui s’est réellement passé est heureux, car étaler des précisions scabreuses n’aurait rien apporté de plus à la pertinence de l’œuvre. Le sujet est évidemment difficile et exigeant pour le public. Le spectateur se retrouve pénétré d’un certain malaise et d’un cuisant sentiment d’impuissance, exacerbé par la performance restreinte de Geneviève Boivin-Roussy, qui est à juste titre sonnée par les évènements.
Il y a tout de même un peu de comique qui parvient à se glisser dans la tragédie, en se frayant un chemin à travers la composition du portrait-robot et de l’examen médical. Graton imagine à quoi ressemble la veille de Noël dans la famille de l’agresseur, et le grinçant de ses observations arrive à point pour soulager légèrement la tension qui s’était installée.
Claude Poissant joue lui aussi la carte de la subtilité dans sa mise en scène en nous offrant des tableaux se déroulant majoritairement dans la pénombre, avec des éclairages précis qui soulignent les visages et les membres, et une utilisation maximale du petit espace qui lui est alloué dans la salle Jean-Claude Germain.
La Nuit du 4 au 5 est donc une très belle pièce sur l’après, sur les façons de se guérir d’un tel traumatisme, en se souvenant ou en oubliant, bref c’est un récit qui pourrait être d’une noirceur épouvantable mais qui s’avère balancé et admirablement objectif.
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Par Philippe Latour
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