ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Valérie Remise
Philippe Falardeau en a fait un film, Monsieur Lazhar, en 2011, qui a été fort bien reçu par la critique et le public, sélectionné aux Oscars, et qui a fini par remporter six prix Génie et sept prix Jutra. La version théâtrale, présentée de nos jours au Théâtre d’Aujourd’hui est, bien que ça semble difficile, encore plus pertinente et essentielle qu’à l’époque.
Bashir Lazhar, un réfugié politique algérien venu au Canada pour préparer le terrain pour l’arrivée de sa famille, est engagé comme remplaçant dans une école primaire après le décès d’une professeure qui s’est carrément pendu dans sa classe. Ayant menti sur son expérience, mais étant amoureux de littérature et des enfants en général, il aura un peu de mal à s’adapter au système scolaire mais cheminera en toute bonne foi, gagnant progressivement le cœur de ses élèves. Ses méthodes peu orthodoxes et un certain malaise culturel au sein des autres enseignants mettront cependant son emploi en péril, et une tragédie au pays lui rongera le moral. Malgré toutes ces épreuves, la qualité de son enseignement persistera.
Dans le contexte actuel au Québec, cette œuvre est troublante d’actualité. L’islamophobie ambiante se décline sous plusieurs formes, dont la liste fait frémir: les attaques subies par le Centre Islamique Québec, la Charte des valeurs québécoises, La Meute, les restrictions touristiques de Trump, la xénophobie ambiante des régions, les animateurs de radio poubelle qui étalent leur ignorance sur les ondes… le constat est triste, et l’heure est grave.
La pièce pose une question essentielle: donne-t-on une réelle chance aux réfugiés? Et on ne parle pas seulement ici des programmes d’accueil, mais aussi de l’attitude générale de la population envers les nouveaux arrivants, des mythes et des légendes qu’on prend parfois pour du cash, et d’une maladresse sociale stupéfiante quand vient le temps de faire preuve d’un peu de tact et de retenue.
Le véritable miracle ici s’appelle Rabah Aït Ouyahia, un comédien qu’on a vu pour la première fois dans L’Ange de goudron de Denis Chouinard, en 2001, et qui a récemment remis ses chaussures d’acteur après une pause de quelques années. Seul sur scène avec une chaise, quelques accessoires et de majestueux jeux de lumière, il est entièrement hanté par son personnage, tout le texte reposant sur ses épaules. Son monologue l’amène à s’adresser à des interlocuteurs invisibles que la force du dialogue nous permet d’évoquer sans aucune difficulté. On ressent instinctivement l’ambiance survoltée d’une salle de classe sans qu’aucun artifice ne soit déployé.
C’est notre laideur inhérente que Bashir nous renvoie, avec sa sagesse, son calme et sa tragédie lancinante, qu’il refuse d’extérioriser. Son personnage, à mille lieues du cliché, est un miroir particulièrement limpide dans lequel la petitesse d’une certaine partie de notre peuple se reflète, avec son égoïsme monstrueux et ses peurs primales et ridicules. Peur de l’autre, peur de l’inconnu, peur de perdre une identité culturelle et un langage qu’on ne respecte pas nous-mêmes.
Un étranger, qui a tout abandonné avec l’espoir d’une vie meilleure et à qui on refuse de donner une réelle chance.
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de la rédaction