ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Suzane O'Neill
Jean-Marc (Jacques Girard) est un attaché politique qui n’en peut plus de son parti qui ment au peuple. Alors, un beau jour, il démissionne via Twitter. Amateur de vélo «haut de gamme», il rêve d’ouvrir une boutique dans Westmount, mais la mise en marche de son projet de retraite prématurée sera stoppée net lorsqu’il entrera en collision, sur une piste cyclable, avec un sans-abri sur le crack. Véronique (Isabelle Vincent) est, quant à elle, animatrice de second ordre dans une émission de la radio d’état et elle rêve d’un grand entretien avec son metteur en scène favori. Et elle endure à peine son mari.
Leur fille Marilou (Alice Moreault) tente, à travers leurs multiples délires, de se forger une identité et de décider d’un sujet de thèse autre que «L’héritage du mouvement hippie», un thème qui l’allume de moins en moins. Avec un directeur de thèse qui ne détesterait pas se la taper, une absence totale de vie sentimentale et une famille qui part en couilles, acquiesçant à ses moindres caprices et l’abreuvant d’argent, Marilou se retrouve sans modèle et le personnage le plus crédible qui guide ses choix de vie se trouve à être son ami imaginaire, le gourou du LSD décédé depuis 1996, Timothy Leary.
Il est fort intéressant de mettre en scène la perspective d’une fille de vingt-deux ans qui vit le mouvement hippie par procuration, à travers son étrange complicité avec le fantôme de Leary (un Bruno Marcil particulièrement sirupeux). L’idée qu’elle se fait de cette époque est fortement idéalisée, et quand la famille entreprendra sur un coup de tête de l’amener à San Francisco pour l’aider avec sa thèse, elle sera confrontée au bon vieux paradoxe entre les attentes et la réalité. Au milieu d’une multitude de boutiques pour touristes, des sans-abris déferlent comme les zombies de Fulci, et il n’y a plus rien de la liberté des années 70 au coin des rues Haigh et Ashbury.
Ce récit irrésistible et léger se prend comme une brise d’air frais et nous plonge avec bonne humeur dans les méandres du mouvement hippie, en mettant en contraste les idéaux de l’époque et la réalité contemporaine. San Francisco est devenu une mégapole technologique où il est impossible de se loger sans se ruiner, les groupes de musiques d’antan dont les membres ont survécu au passage du temps multiplient les tournées à vocation principalement mercantile, et le LSD n’a jamais tenu ses promesses, qu’elles soient médicinales ou psychologiques.
Tout ici est jouissif: le décor d’époque, les costumes d’Elen Ewing et la présence sur scène des deux musiciens de Le Futur qui, avouons-le, pourraient difficilement avoir un look plus propice. Leur rock fuzz atmosphérique donne le ton et bonifie grandement l’expérience du public. Pierre-Michel Tremblay a très bien interprété le texte de Philippe Lambert, et a su trouver des interprètes qui lui rendent justice.
Alice Moreault, qu’on avait appréciée la saison dernière dans Clara, à l’ESPACE GO, n’exerce pas depuis très longtemps ses talents d’actrice, mais son aplomb et sa candeur nous laissent deviner que nous la reverrons assez rapidement dans un théâtre près de chez vous.
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Par Suzane O'Neill
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