ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Hugo B. Lefort
Anne se réveille sur une plage, le visage plein de sable, ne comprenant aucunement comment elle est arrivée là. Sa soeur y est aussi, désinvolte comme jamais, lui déclarant que la journée sera bonne. Elle est clairement dans un souvenir, celui d’un week-end à la plage avec des amis, et tous les personnages qui y font irruption, incluant l’insignifiant Bruno, un ancien collègue de travail, lui expliquent qu’elle est en plein processus de transfert. Elle doit aller au bout de ses souvenirs afin que sa conscience soit uploadée avec succès dans son nouveau corps.
La singularité n’est pas seulement proche, elle est là, sur scène, devant nous. L’inclassable Jean-Philippe Baril Guérard, artiste touche-à-tout, nous a offert deux romans aux Éditions de Ta Mère, et est en train de bâtir une oeuvre théâtrale plutôt unique. Après Tranche-Cul, aussi présentée à Espace Libre en 2014, et qui traitait des limites et des inconvénients de la liberté d’expression, il nous présente ici une pièce qui plonge de plein fouet dans des débats éthiques très actuels.
On s’y interroge à propos de l’impact de l’immortalité sur les ressources limitées de la planète; du clivage que cela pourrait créer entre ceux qui peuvent se permettre des «transferts», et ceux qui ne sont pas assez aisés pour le faire; et de l’aspect particulièrement égoïste relatif au désir de vivre éternellement. Des thèmes un peu impitoyables qui cadrent merveilleusement bien avec le reste de l’œuvre de ce jeune dramaturge.
Partant d’un concept habituellement cantonné au cinéma, à la littérature ou aux jeux vidéo, et qui intéresse normalement un auditoire assez restreint, Baril Guérard parvient à toucher beaucoup de cordes sensibles, à rendre ses personnages quasi humanoïdes fort attachants, et à propulser un certain débat post-spectacle chez les spectateurs.
La poignée d’interprètes qui portent à bout de bras cette production est majoritairement sans défauts, et le casting de Mathieu Handfield en Bruno, l’ancien collègue de bureau insignifiant, est particulièrement avisé. Le personnage est tout simplement hilarant.
Avec une définition sonore recherchée, qui installe une ambiance feutrée troublée par de lointains bruits informatiques, on se croirait à l’intérieur d’une interface. La scène est couverte de dunes synthétiques, version cauchemardesque d’une plage idyllique, et l’éclairage très clinique est accompagné d’effets sonores jouant sur la temporalité de façon très réussie.
Le texte de la pièce pourrait probablement servir, dans un futur pas si lointain, de leçon de maître, et d’un exemple fort réussi de science-fiction à la fois ludique et cérébral.
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Par Hugo B. Lefort
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