ThéâtreEntrevues
Crédit photo : Pascal Victor
Une trace indélébile
D’entrée de jeu, Marie-Hélène Estienne mentionne que lorsqu’on commence à entrer dans le Mahabharata, on ne peut pas le quitter. Et avec les évènements politiques récents, Peter Brook et elle ont senti le besoin de se plonger à nouveau dans cette œuvre pour partager certaines leçons que l’on y retrouve.
Si le spectacle de neuf heures, créé en 1985, avait pour objectif de traiter des dix-huit volumes du Mahabharata et cherchait à rendre compte d’une immense guerre fratricide, Battlefield interroge le fondement de cette épopée: pourquoi a-t-elle été écrite et que dit-elle au monde d’aujourd’hui. Ainsi, Peter Brook et Marie-Hélène Estienne se sont dirigés vers quelque chose de plus intime, de plus resserré.
Pour ce faire, ils ont dû en relire de grands morceaux et amener les acteurs à s’imprégner de la force de l’histoire. Estienne raconte: «Il n’y a pas eu de première répétition à proprement parler. On a d’abord fait des séances de travail avec des inconnus, avec des personnes avec qui on voulait travailler, parfois même avec de jeunes metteurs en scène. La recherche a duré deux ans, par bribes. On est enfin arrivé à un texte avec lequel on pourrait travailler, même si le spectacle évolue tout le temps. Le musicien, par exemple, improvise tous les soirs en restant à l’écoute des acteurs. Il a une ligne à respecter, mais il s’adapte à l’énergie de chaque représentation.»
Leçon de sagesse et d’humilité
Lorsque Battlefield débute, des millions de corps jonchent le sol suite à la bataille. Les vainqueurs sont ainsi confrontés aux conséquences du combat meurtrier qu’ils viennent de mener. Le Mahabharata est écrit pour préserver quelque chose que les Indiens appellent le dharma, qui consiste en une ligne droite de justice divine qui habite l’humanité et que chaque humain devrait respecter: «Quelques personnes portent ça en elles et doivent aider les autres. Le livre est écrit pour protéger une conscience morale très importante, qui empêchera de tuer son voisin et de combattre le monde animal et sanguinaire dans lequel on est. Pour les Indiens, tu ne peux pas éviter ça. Il y a un cycle entre de multiples montées et de multiples déclins. Tout est là pour essayer de ranimer chez les gens un souci de justice au niveau de son engagement vis-à-vis de l’humanité.»
Aussi, Le Mahabharata pose un questionnement fondamental sur la posture que l’on adopte face à la mort: «Comment mourir? Est-ce qu’on va mourir dans un égoïsme complet, ou on meurt en pensant au bonheur humain? Comment mourir sans culpabilité, parce que tous ceux qui survivent portent un lourd poids de responsabilité, un énorme poids que les politiques d’aujourd’hui ne semblent pas porter.»
Puiser dans les grands récits pour toucher l’universel
Alors que Battlefield s’installe à la Place des Arts, le chorégraphe britannique Akram Khan présente à la TOHU son spectacle de danse Until the Lions, également inspiré du Mahabharata. Cela montre donc qu’autant en théâtre qu’en danse, cette histoire constitue un terreau fertile pour aborder la société d’aujourd’hui.
Marie-Hélène Estienne et Peter Brook connaissent bien Akram Khan, puisqu’il a participé à la version anglaise du Mahabharata qu’ils ont faite: «Ça fait partie de mon métier. Je l’ai trouvé dans une école de danse à Londres. Je cherchais désespérément de jeunes adolescents – il avait 13 ans, je crois –, et on m’a dit qu’il y avait un petit Indien merveilleux. Je suis allée et je suis tombée sur Akram et son père. On a pris Akram tout de suite et il a fait le tour du monde avec nous!»
Le personnage de Bhishma, que le chorégraphe et danseur incarne dans Until the Lions, se retrouve d’ailleurs dans Battlefield: «Lui a choisi le moment où le personnage meurt dans la bataille, alors que nous, on a mis le personnage juste avant qu’il meurt.»