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Crédit photo : Run the Jewels
Personne ne devrait être trop surpris du brio avec lequel Killer Mike et El-P livrent ces quatorze pièces: l’opus se dresse dans la lignée de la multitude d’albums hip-hop importants étant parus dans les dernières années. Qui plus est, leur deuxième offrande (Run the Jewels 2 en 2014) figurait parmi les meilleurs albums tous genres confondus de l’année et laissait présager que le groupe n’avait pas dit son dernier mot. Tout au long de Run The Jewels 3, Killer Mike et El-P semblent affamés et inspirés, comme si rien ne pouvait les arrêter.
Le choix de collaborateurs est judicieux: Danny Brown, Tunde Adebimpe de TV on the Radio et le jazzman exceptionnel Kamasi Washington. De plus, le duo sort une fois de plus Zach de la Rocha des boules à mites, lui qui avait contribué à l’explosive «Close Your Eyes (And Count to F**k)» sur l’album précédent. Ici, son apport est moins significatif (sur la finale «A Report to the Shareholders / Kill Your Masters»), mais ses vers revendicateurs font toujours du bien à entendre. Et son association avec le groupe est naturelle, étant donné la politisation grandissante des paroles et thématiques de Run the Jewels.
Que cette politisation du groupe survienne en cette nouvelle ère «trumpienne» ne tient pas du hasard: tout au long de la campagne électorale, Killer Mike s’est rangé derrière le candidat démocrate Bernie Sanders. L’album s’est donc enregistré dans le contexte où Donald Trump est passé de simple candidat au parti républicain à président des États-Unis. «How long before the hate that we hold lead us to another Holocaust», se demande sérieusement le MC sur «2100», visiblement inquiet de l’avenir que nous réserve les quatre (ou huit) prochaines années. Sur «Hey Kids (Bumaye)», le groupe se lance contre le billionnaire club, en attaquant la famille Rothschild, Bill Gates et même Steve Jobs. Une meilleure redistribution des richesses? Voici une idée très Sanders.
Et qui attaquer sinon ceux qui nagent dans la surabondance?
L’attaque ne cible pas seulement des individus, mais aussi le système, notamment sur la percutante «Thieves! (Screamed the Ghost)». Là, encore une fois, RTJ prend le côté de la révolte et des manifestants («But in the final analysis, a riot is the language of the unheard»). Sauf que l’album n’est pas uniquement politique, Killer Mike et El-P n’ont rien perdu de leur énergie et de leur vanité, toujours essentielles à leur musique. En ce sens, «Talk to Me» et «Legend Has It» vont satisfaire les amateurs de la première heure, cette dernière empruntant même régulièrement le célèbre «Woo!!» du légendaire lutteur Ric Flair.
Au final, Run the Jewels réussit à livrer un album qui s’inscrit parfaitement dans les temps troubles actuels, réussissant à adresser les situations conflictuelles avec leur mordant habituel. Ce troisième album n’a peut-être pas la même portée sociale que To Pimp A Butterfly de Kendrick Lamar ou bien la même folie claustrophobe qu’Atrocity Exhibition de Danny Brown, mais son esprit contestataire et révolutionnaire est tout à fait à propos en ce début 2017. Bienvenue à la présidence, Monsieur Trump.
Sachez que vous aurez Run the Jewels, et bien d’autres, à vos trousses pour encore bien longtemps.
L'avis
de la rédaction