MusiqueLes albums sacrés
Crédit photo : Interscope
Year Zero n’a pas été écrit en fonction du journal intime de Reznor, comme c’était le cas pour ses offrandes précédentes. L’idée d’un album concept lui effleura l’esprit lorsqu’il se sentit prêt à retourner en studio pour concevoir un successeur à The Fragile (1999), un opus adoré par les fans véritables, mais qui n’a pas causé de grand éclat dans les médias. Désormais sobre, il craint de ne plus être en mesure d’écrire de la musique. Cependant, il y parvient et travaille sur du nouveau matériel.
Il entrevoit, pour la première fois, la possibilité de faire un album concept (Bleedthrough). Mais il change d’idée et revient à une formule plus conventionnelle, et offre un album à saveur rock, With Teeth (2005). Ce n’est que partie remise, à peine deux ans après cette parution, il lance Year Zero, un album concept dont le sujet est la fin du monde telle que les Américains la connaissent.
Moins personnel, plus politique et très marketing
En effet, Reznor s’intéresse à la politique et, plus précisément, à l’avenir de son pays. À cette époque, George W. Bush était le président des États-Unis. Le musicien a ouvertement critiqué à plusieurs reprises. Il s’inquiète de la perte des libertés civiles. Il puise à même ses réflexions et laisse vagabonder son imagination afin de créer un monde apocalyptique, tel qu’imaginé par lui, de ce que serait la vie aux États-Unis à l’an zéro, c’est-à-dire en 2022.
Et le futur s’annonce glauque et terrifiant. Le pays est sous le joug d’un gouvernement totalitaire. Suite aux attaques terroristes et les guerres subséquentes (les attentats du 11 septembre, les relations avec l’Iran et la guerre en Iraq), le gouvernement dirige le pays d’une main de fer, met sur pied un bureau de la moralité (United States Bureau of Morality), implante une théocratie chrétienne et distribue des drogues à la population en contaminant l’eau potable afin d’asservir celle-ci, intensifiant un climat de paranoïa qui existe réellement aux États-Unis.
C’est une fiction, mais bien honnêtement, ce n’est pas si difficile à imaginer. On ne peut s’empêcher de penser à 1984…
La campagne marketing était, par ailleurs, des plus sophistiquées: un jeu vidéo, des clés USB éparpillées dans les toilettes des salles de spectacles, une ligne 1-800 pour se dénoncer volontairement, des t-shirts avec des messages sous la forme d’hologramme, des sites Web, un projet de télésérie et un concert surprise qui se termine en catastrophe (la foule est dispersée suite à l’intervention d’une fausse équipe de tireurs d’élite)… Un mot avec lequel Trent Reznor n’était pas d’accord, il a affirmé qu’il s’agissait d’une forme d’art qui complète le disque… La rumeur veut que le budget pour le disque et la promotion se chiffrait à deux millions de dollars.
Beaucoup de bruit, mais…
Pourtant, je ne peux m’empêcher de penser que tout ce brouhaha a porté ombrage à l’offrande. Les médias ont aimé l’originalité et la déclinaison du concept, mais nous avons quelque peu oublié la musique qui en découle.
Ce disque, composé pendant la tournée pour soutenir l’album With Teeth, a été réalisé sur la route avec son laptop et finalisé dans son studio maison. Il a volontairement délaissé la guitare et a conçu une histoire pour accompagner ce disque, qui est similaire à un film. Pour ce faire, il s’est inspiré du travail de réalisation de The Bomb Squad auprès de Public Enemy. Il fut réalisé par Trent Reznor (comme c’est le cas pour chacun de ses opus) et Atticus Ross, qui est devenu un membre officiel de Nine Inch Nails en décembre 2016. Il s’agit du premier musicien à joindre le groupe, Reznor ayant toujours été le seul et unique maître de la formation. Le mixage fut assuré par Alan Moulder, un collaborateur de longue date.
La première pièce, «Hyperpower!», est instrumentale et on croirait assister à un rallye où un dictateur quelconque se laisse porter par la clameur de la foule pour ensuite fondre et se métamorphoser en une tragédie sanglante. «Survivalism» et «Vessel» dégagent un sentiment d’urgence, tandis que «Me, I Am Not» laisse planer une certaine apathie. Je ne sais pas quoi penser de «Capital G». Cet extrait est funky, voire hip-hop, super entraînant. Son refrain aux sensibilités pop éclipse les couplets où on a l’impression que le musicien tente de rapper, sans trop de succès. «My Violent Heart» et «Meet Your Master» sont ultra électro et très vigoureuses, ce qui rappelle les débuts de Nine Inch Nails. «The Great Destroyer» et «In This Twilight» sont de vrais petits bijoux de pop intelligente.
Influencé par Prince (l’aspect multi-instrumentiste et autodidacte), Skinny Puppy, Bauhaus, Gary Numan, KISS, David Bowie, Depeche Mode, Ministry, Throbbing Gristle et Front 242, il n’hésite pas à expérimenter, tout en composant de la musique mélodieuse. Il favorise une structure de chanson qui rappelle le pop bien qu’il soit considéré comme un artiste industriel. Cependant, il ne s’enlise pas dans les bruits aux sonorités mécaniques, sursaturées et tonitruantes. Celles-ci sont savamment dosées, avec juste ce qu’il faut de distorsion.
Il y a certains disques de Nine Inch Nails que l’on aime sur-le-champ et il y en a d’autres qu’il faut apprivoiser. Je n’ai pas eu un coup de foudre immédiat pour Year Zero, les chansons ont dû faire leur chemin dans mon esprit. J’ai toujours eu une admiration immense pour Trent Reznor, il est un multi-instrumentiste particulièrement doué, chaque disque et bande originale marque une évolution, le tout est toujours méticuleusement conçu. Je peux écouter sa musique à répétition, jamais je me lasse, car la richesse du son suscite un intérêt renouvelé à chaque écoute.