«Prédictions 2017», avec Jean-Philippe Wauthier et sa bande, au Théâtre St-Denis

Réglons d’emblée une ambiguïté: mises à part quelques manchettes «dernière heure», les numéros sont écrits au passé, c’est-à-dire que les sketchs ne constituent pas à proprement parler des prédictions, mais bien une fausse rétrospective qui se déroulerait dans un an. La confusion est bénigne, mais les quatre comparses Jean-Philippe Wauthier, Jean-Sébastien Girard, Olivier Niquet et Fred Savard et leur nouvel acolyte Fabien Cloutier la reconnaissent et s’en moquent pour aussitôt s’en laver les mains: c’est la faute aux mêmes qui voulaient faire un gala «juste de filles». D’accord, le ton est donné.

Oui, on peut dire que c’est cette blague qui lance le show, beaucoup plus que l’introduction par Wauthier en solo brossant un portrait rapide de l’année de m***e que fut 2016. C’est elle qui représente la mécanique de La soirée…, qui cristallise la manière de faire et en résume la dynamique: une autodérision de bon aloi, licence à une distribution de claques équitablement réparties entre leurs amis et leurs détracteurs. Ainsi, si on aime l’émission de radio, on sera servi et on rira de bon cœur, presque tout le long. On aborde les médias, la culture et la politique par de multiples anecdotes couvrant de nombreux angles, par moments dans un tir percutant très soutenu qui, il faut le dire, récolte une très bonne moyenne à la cible.

Les blagues les plus acides se font dans le domaine social, en particulier sur la santé, le vieillissement et l’aide à mourir.

Sur scène, comme prévu, Jean-Sébastien Girard tire bien son épingle du jeu. Point de vue redites, ses chansons passent d’ailleurs mieux que les extraits sonores présentés par Olivier Niquet, déjà entendus plus d’une fois. Même si la majorité des textes et dialogues de l’émission de radio est tout aussi scriptée que ceux du spectacle, les rebondissements et imprévus, où Wauthier brille souvent par sa vivacité, nous manquent un peu dans la version scénique. Tout de même, les principales qualités de contenu demeurent, tandis que l’organisation scénique s’avère un peu statique.

Des invités d’honneur

Incontournable et omniprésent ces derniers temps, le metteur en scène Serge Denoncourt aime, lui aussi, rire de lui-même. C’est une tendance et si jamais elle s’essouffle, ce qui est à prévoir, on pourra au moins toujours bénéficier de son talent qui lui, a fait ses preuves depuis bien plus longtemps et ne risque pas d’être balayé par ce coup de vent. Cela dit, sa blague de nudité, on l’attendait et elle est bien faite, mais on aurait préféré qu’elle reste implicite. Qu’elle revienne sans cesse comme les boules chinoises de Dolorès Bougon, ça se défend dans ce contexte.

Parmi les sketchs réussis, mentionnons celui où Wauthier, Niquet et Savard, à tour de rôle, tentent d’interviewer Léane Labrèche-D’or dans une émission pilote, en remplacement d’Éric Salvail, décédé subitement. Autre surprise agréable, mais qui, dans son exécution, étonne moins: la chouchou du Québec Guylaine Tremblay remportant un trophée dans la catégorie «meilleure Guylaine Tremblay du Québec». Sans vouloir revenir sur la griffe très résolument masculine de cette bande de comiques, disons que l’instinct de prendre deux filles pour ces caméos était le bon. Notre petit doigt nous dit que dans ce créneau, s’ils avaient pu avoir Céline, ils l’auraient prise, même si ce n’est pas une amie de l’émission.

Et puis, il y a Fabien Cloutier. Venons-y. Durant la première moitié du spectacle, voire davantage, on se prend à se demander «Mais pourquoi est-il là, au juste?» On observe Fred Savard, sous-utilisé, du coin de l’œil. On sourit à moitié devant son incarnation absurde d’un Charles Lafortune qui pète les plombs pour se réinventer en coiffeuse. On l’écoute, dans sa folie crue et décalée, nous expliquer par A+B=C comment la masturbation contribue à la fonte des banquises arctiques, mais on soupire en attendant la chute, bien maigrelette à l’arrivée.

En fait, les compères et leur metteur en scène ont confié à Fabien Cloutier le rôle de dire à leurs auditeurs/spectateurs que ceux-ci ne valent pas plus que le dernier quidam, même s’ils ont le bon goût de les écouter. Lui dont le spectacle solo s’intitule Assume, a-t-il demandé à ceux qui l’ont invité s’ils assument, justement?

En tout cas, sa présence a le mérite d’ajouter une couche rugueuse au vernis du groupe, même si, comme chacun sait, tout cela, c’est de la frime.