ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Hugo B. Lefort
«J’aime l’humour intelligent», déclarera à un moment le personnage de Sonia Cordeau dans «Le Spectacle», la troisième offrande du Projet Bocal. Entre les jeux sur les mots, les seconds degrés, les images révélatrices présentées par le trio, les mises en abîme du théâtre dans le théâtre et les dialogues de faux décrochages, il y a indubitablement de l’intelligence dans les textes et la mise en scène des nombreuses saynètes du spectacle, mais il faut être honnête: il y a aussi beaucoup d’absurdité et de propositions à n’y rien comprendre. Du grand «n’importe quoi» qui fait malgré tout rire, et qui, somme toute, fait presque la force du Projet Bocal.
Impossible de définir une histoire ou ligne directrice claire à «Le spectacle»; nous dirons simplement qu’entre les chansons rappées, les références à des personnalités connues comme Pierre Lebeau, Garou ou même René Angélil, et les scènes où les trois comparses sont en compétition au fameux Fort Boyard, les comédiens et auteurs nous mènent un peu partout et un peu nulle part. On a à peine le temps de comprendre où s’en va un dialogue qu’il se transforme complètement et change la proposition du tout au tout, et c’est là l’effet de surprise et d’inventivité qui ravit chez Le Projet Bocal.
Si certains peuvent être rebutés par tant de revirements de situations inexpliqués, presque incohérents, mais surtout déstabilisants, nous y voyons plutôt un grand esprit de liberté créative et une singularité qui est en voie de devenir une véritable marque de commerce pour le trio. Il est vrai que leur précédent projet, «Oh Lord», nous semblait plus fignolé et moins chaotique que «Le spectacle», mais on se réjouit tout de même de l’inventivité, et surtout, de l’abandon total dont les comédiens ont fait preuve, autant dans leur interprétation que dans leur écriture qu’ils n’ont manifestement pas censurée.
La principale lacune de «Le spectacle» réside dans le manque de cohésion au niveau de la thématique des sketches. Si on promettait un spectacle qui s’intéresse au futur, à la technologie et à ses dérives et impacts, il serait faux d’admettre que les propos véhiculés ont été d’une grande lucidité et ont fait réfléchir les spectateurs sur leur utilisation des réseaux sociaux, par exemple, de leur téléphone cellulaire ou autre. Il serait aussi inexact de prétendre que toutes les scènes proposées étaient pertinentes de façon égale et s’inscrivaient toutes aussi bien dans le sujet.
Par exemple, ce tableau – par ailleurs hautement divertissant et déclenchant de nombreux rires – où Raphaëlle Lalande (qui tire particulièrement son épingle du jeu dans la pièce) tente d’effectuer du doublage de manga japonais en prenant une voix de robot: bien sûr, on traite de robot, et bien sûr, le texte qu’elle doit interpréter est sans doute le contenu le plus pertinent du spectacle, à savoir que le robot est plus efficace que l’humain et qu’il le remplacera plus tôt que tard, mais on passe si rapidement à autre chose que cet éclair de lucidité ne sera pas suffisant pour marquer les esprits.
Au final, le grand délire du Projet Bocal contente et déclenche les rires, mais il se déploie surtout comme son décor, entièrement fait de styrofoam (des petits bancs aux grands pans de mur): il est très léger.
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Par Hugo B. Lefort
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