«Dimanche napalm» de Sébastien David au Théâtre d’Aujourd’hui

Au printemps 2012, alors que les manifestations étudiantes battaient leur plein dans les rues du Québec, Sébastien David est tombé sur un article commémorant le 40^e anniversaire de la célèbre photo «La jeune fille au napalm».

Dimanche napalm consiste en un enchaînement de 47 tableaux où des membres d’une famille – le Père, la Mère, la Sœur, la Grand-mère et l’Ex-copine – s’entretiennent avec le Fils, cloué dans une chaise roulant après avoir raté sa tentative de suicide. Si le texte est écrit comme un collage de monologues, la mise en scène transforme ceux-ci en dialogues à sens uniques motivés par la présence centrale du Fils.

La pièce aborde indirectement la désillusion de la jeunesse face au pétard mouillé que fut le printemps érable, ainsi que le fossé entre les générations. Après avoir pleuré, crié et manifesté sans avoir réussi à faire bouger quoi que ce soit, le Fils se rend compte que sa passivité semble provoquer plus d’impact dans son entourage que son activisme. Son silence devient ainsi le geste le plus radical qui soit, et entre en résonance avec la révolte indicible du personnage face à notre époque.

Paradoxalement, ce mutisme volontaire alimente une logorrhée chez les autres personnages, qui s’expriment dans une langue plutôt pauvre, truffée de répétitions et d’énumérations. Selon Sébastien David, ce rapport embarrassant avec le silence est caractéristique de la société québécoise, qui cherche à fuir le silence et la confrontation. Chacun des personnages de la pièce réagit d’ailleurs différemment au mutisme du Fils, qui devient tantôt un catalyseur pour les confidences et tantôt un incitatif à la rébellion.

Diplômé de l’École nationale  de théâtre en 2014, Alex Bergeron relève avec brio le défi d’interpréter un personnage sans texte en développant un vocabulaire corporel subtil composé de hochements de tête, d’expressions faciales et de déplacements plus ou moins rapides de son fauteuil. Toutefois, cette révolution intime laisse transparaître une grande agressivité malgré l’apparente passivité du personnage.

Louison Danis est également très touchante dans le rôle de la Grand-mère sénile, laissée à elle-même dans un CHSLD. Le choix du metteur en scène de la présenter en jaquette, décoiffée et sans dentier accentue la perte de dignité du personnage. Le monologue dans lequel elle raconte les moments charnières de sa perte d’autonomie est particulièrement poignant. Ce mélange de comique et de tragique est caractéristique du théâtre de Sébastien David (Les hauts-parleurs, Les Morb(y)des, En attendant Gaudreault précédé de Ta yeule Kathleen), qui arrive à sublimer la difficulté d’existence d’être marginaux par le kitsch et l’humour.

La scénographie d’Odile Gamache consiste en trois escaliers permettant aux personnages de monter parler au Fils, qui reste cloîtré dans sa chambre au deuxième étage de la maison. Au fond de la scène, une immense fenêtre fracassée rappelle la tentative de suicide du Fils en plus de servir d’écran pour afficher le titre de chacun des tableaux de la pièce – «Jeudi piscine», «Dimanche poutine» – marquant du même coup la chronologie de la pièce. Une passerelle à l’arrière de la scène permet également à la grand-mère de faire des apparitions ponctuelles en fauteuil roulant motorisé.

Avec Dimanche napalm, Sébastien David réussit la mission délicate qu’il s’était donnée, soit aborder un enjeu de société encore douloureux pour une partie de la population québécoise. En basant son histoire sur les fractures laissées par le printemps étable chez une famille de la classe moyenne québécoise, il arrive à reprendre la réflexion laissée en suspend il y a quelques années.

À l’heure où des projets comme Faut qu’on se parle se mettent sur pied, Dimanche napalm réitère la nécessité de reprendre le dialogue.