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Crédit photo : Philippe Bossé & Les Films Séville
Son sixième long-métrage en carrière et premier en langue anglaise, Two Lovers and a Bear est un drame romantique bouillonnant campé dans les paysages glaciaux de l’Arctique. Dane DeHaan (Chronicle) et Tatiana Maslany (récemment récompensée d’un Emmy pour sa performance dans la série Orphan Black) y incarnent les amants en question, deux âmes torturées au cœur rempli d’amour et à la tête pleine de démons.
«À la base, il s’agit d’une nouvelle que Roger Frappier [producteur du film] m’a montrée il y a déjà quatorze ans; écrite par Louis Grenier, le fondateur des manteaux d’hiver Kanuk. J’ai été happé par la force de cette histoire d’amour tragique, qui se passait dans un univers qui ne ressemblait à rien d’autre. J’ai tout de suite eu envie de l’explorer, mais j’ai dû mettre le projet de côté, car on n’arrivait pas à trouver où se trouvait la magie. C’est en finissant Rebelle que j’ai eu un flash, et je suis retourné au scénario.»
Ainsi, quatre ans après avoir représenté notre cinéma national à la cérémonie des Oscars grâce à Rebelle, Nguyen en était à sa toute première expérience sur les planches du Festival de Cannes lorsque Two Lovers and a Bear a été inauguré, en mai dernier, dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs. «Inévitablement, à Cannes, on est très nerveux, peu importe la catégorie. Parce qu’on sait que les critiques peuvent être très acerbes, que c’est un endroit où les gens se permettent de critiquer, de huer dans la salle. Ce qui est étrange, par contre, et vraiment bien avec la Quinzaine des réalisateurs, c’est son aspect très intime. C’est un festival parallèle où on est sélectionné par des pairs, le théâtre est plus petit, c’est convivial. Et je n’avais pas anticipé ça, mais d’être à proximité de l’océan, ça ajoute quelque chose de génial… de chill!»
Intéressant choix de vocabulaire, puisque Two Lovers and a Bear exprime plutôt le terme chill dans son sens le plus littéral. «La température était un énorme défi, mais aussi une bénédiction pour les comédiens. Cet environnement dur contribuait à leur jeu. Ils n’avaient pas à faire semblant, ils étaient dans un vrai moment de confrontation avec l’environnement. Une chose qui est super difficile à créer en post-production, d’ailleurs, ce sont les bouffées de vapeur créées par leur respiration. Dans ce cas-ci, on avait déjà de très belles volutes; j’étais vraiment content!»
Pour avoir tourné La Cité en Tunisie, Rebelle en République du Congo, Two Lovers and a Bear au Nunavut et son prochain long-métrage (intitulé Eye on Juliet) au Maroc, notre cinéaste est désormais bien accoutumé à travailler en dehors des lieux communs et des grands centres. «Les défis sont complètement différents entre le Congo, le Maroc et l’Arctique; ce sont presque trois planètes différentes. C’est vraiment incroyable, mais aussi bizarre, car il y a beaucoup de similitudes entre survivre dans un grand désert très chaud et survivre dans l’Arctique. C’est marquant… Il y a beaucoup de vide, et c’est très sec, l’Arctique; je ne savais pas! Il y a aussi cette idée d’être en constante conscience de son corps par rapport à l’extérieur. Pour l’équipe, c’était un tournage exigeant. Ils sont partis du tournage très fatigués.»
Préoccupation récurrente dans l’œuvre de Kim Nguyen, le film porte sur des personnages à la fois résilients et vulnérables, peinant à s’adapter au territoire hostile dans lequel ils évoluent. «Je ne sais pas s’il s’agit vraiment de ce thème en soi, mais je me rends compte que je recherche souvent un univers géographique qui est un reflet de ce qui se passe chez les personnages.»
«C’est du bonbon, pour un cinéaste, d’avoir un univers extérieur qui propulse l’univers intérieur de ses personnages.»
Dans le cas de Roman, personnage interprété par un Dane DeHaan plus naturel et plus poignant que jamais (un jeune acteur à surveiller de près), cet univers intérieur est incarné par la troisième tête d’affiche du film, et non la moindre: «Ce troisième personnage, c’est Aggie, un ours polaire femelle qui avait déjà quinze ans d’expérience dans le métier! Dans la mesure du possible, quand j’ai des effets spéciaux à intégrer dans mon film, j’essaie d’utiliser des vrais éléments. Ça donne quelque chose de plus touchant, de plus attachant. Je trouve encore que, même lorsqu’on met beaucoup, beaucoup d’argent dans la technologie 3D, le rapport physique n’est pas aussi charnel qu’avec de la vraie matière.»
Cela dit, il ne suffisait pas pour le cinéaste et son équipe de donner vie à ce curieux protagoniste sous la forme d’un animal en chair et en os – ou plutôt en fourrure –; il fallait aussi lui faire don d’une voix résonante. «J’ai essayé plusieurs options pour la voix de l’ours. On a testé des voix qui ressemblaient à celle de Dane, pour rendre ça plus réaliste, plus concret… Mais ça ne fonctionnait pas, parce qu’on avait besoin d’une voix plus marquante, qui représentait vraiment la voix intérieure de l’ours. Finalement, ça devait être Gordon Pinsent.»
Homme derrière les cordes vocales de Babar l’éléphant et véritable légende du cinéma canadien, Gordon Pinsent habite Aggie en l’infusant d’une pointe d’humour et de tout le caractère qu’elle méritait, venant parfaitement nuancer la blanche atmosphère de cette splendide fable polaire qu’est Two Lovers and a Bear.