«Abîmés» de Samuel Beckett à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier – Bible urbaine

ThéâtreCritiques de théâtre

«Abîmés» de Samuel Beckett à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier

«Abîmés» de Samuel Beckett à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier

Texte puissant et fragile, à manipuler avec soin

Publié le 7 octobre 2016 par Marie-Hélène Proulx

Crédit photo : Frédérique Ménard-Aubin

Il faut espérer que le temps viendra [...] où la meilleure manière d'utiliser le langage sera de le malmener de la façon la plus efficace possible, écrivait Samuel Beckett au début de sa carrière. Malmenés, ses mots? Vraiment? Dans ses univers clos où même le temps souvent s’arrête, chacun d’eux parvient à désarmer l’auditoire, avec la précision d’une lame de rasoir. La durée restreinte des quatre pièces, moins d’une quinzaine de minutes chacune, offre aux mots et aux silences une emprise encore plus grande que de longs développements, ou du moins dans le cas de trois d’entre elles, puisque la quatrième est sans paroles.

Beckett n’a pas non plus la réputation de laisser beaucoup de jeu à l’imagination de ceux qui reprennent ses œuvres. Ses nombreuses consignes scénographiques ont d’ailleurs constitué une contrainte de taille pour la troupe Joe Jack et John qui, jusqu’ici, avait préféré se consacrer à l’interprétation de ses propres textes.

Lors de la discussion suivant la représentation, Catherine Bourgeois le reconnaît sans ambages. Cette metteure en scène manifeste néanmoins sa passion pour la scénographie par plusieurs libertés scéniques, dont de nombreuses utilisations de jeux d’ombres et de vidéos, ainsi que par des déplacements de personnages qui éveillent parfois des doutes quant à leur pertinence. Les déplacements surtout, impliquant des entrées et sorties de scène à profusion, que ne justifie aucune parole, malmènent plus dangereusement le «quatrième mur» du théâtre que ne le font les phrases de Beckett.

Le fait que cette troupe intègre à la distribution des quatre acteurs deux personnes aux prises avec une déficience intellectuelle rend le défi de cette conciliation avec l’esprit de l’auteur encore plus grand. Gabrielle Marion-Rivard, qui fut dévoilée par son rôle-titre dans le film Gabrielle, occupe ici le rôle central de la pièce Pas. En 2013, la productrice Louise Archambault avait alors su puiser chez madame Marion-Rivard une fraîcheur qui lui a valu le Prix Écrans canadiens. Mais le discours à multiples niveaux de Beckett peut-il contribuer à mettre en valeur cette prompte spontanéité? Le résultat de cette première présentation ne permet pas de le démontrer.

Cela n’empêche pas la production de receler quelques perles. Marc Béland apparaît souvent ailleurs dans des rôles exigeant un jeu très physique et l’expression d’émotions exacerbées. On le redécouvre ici, maintenant à bout de bras la crédibilité de chaque instant par la finesse de son interprétation. Même dans la dureté du personnage central de la pièce Quoi où, qui ordonne des séances de tortures, se dévoile, grâce à Béland, un être qui ressent. Ensuite, avec l’Impromptu d’Ohio, l’acteur parvient, par sa seule sensibilité, à intégrer une touche à la fois fluide et lumineuse à la finale de cette suite de sombres discours.

Ainsi, dans cet univers où peu d’écarts sont permis et où l’enfermement semble dominer les êtres, la scène demeure le lieu d’une rencontre merveilleuse, entre le génie qui a su décrire la solitude et celui qui aura su l’interpréter.

L'événement en photos

Par Frédérique Ménard-Aubin

  • «Abîmés» de Samuel Beckett à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier
  • «Abîmés» de Samuel Beckett à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier
  • «Abîmés» de Samuel Beckett à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier
  • «Abîmés» de Samuel Beckett à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier
  • «Abîmés» de Samuel Beckett à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier

L'avis


de la rédaction

Nos recommandations :

Vos commentaires

Revenir au début