ThéâtreEntrevues
Crédit photo : Jean-François Gratton
«Le TNM a encore beaucoup de luttes à mener pour obtenir un statut qui reconnaîtrait justement la pérennité, le mandat, les réalisations, l’influence, le rayonnement et le fait que ce soit un repère culturel. La grande, grande étape pour moi, que je n’ai pas encore réussi à franchir – mais il n’y a pas un théâtre au Québec qui a réussi non plus –, c’est une reconnaissance de statut national», lance déjà Lorraine Pintal, à peine cinq minutes écoulées depuis le début de la conversation au Café du Nouveau Monde. Un statut national? Comme les théâtres nationaux en Europe? «Non, parce qu’on est très loin de cette réalité, mais ce serait plutôt de se pencher sur la nécessité pour l’État, pour le public et pour les artistes, que soient reconnus un ou des lieux qui offrent un autre repère, une autre forme d’appartenance aux citoyens et qui puissent aussi marquer l’histoire du Québec. Parce que c’est ça, aussi: on pose les jalons d’une histoire, mais on a une histoire à inventer encore.»
Il n’y a pas à dire, aucun défi ne semble trop grand pour celle qui célébrera ce printemps ses 25 ans à la barre du TNM. Pourtant, il n’y a qu’à remonter en 1996-1997 pour s’apercevoir qu’il y avait déjà, à cette époque, des projets d’agrandissement pour le théâtre. Des plans qui sont sur la table depuis 20 ans et que Pintal compte bien réaliser une fois pour toutes, dans un avenir rapproché. «Maintenant que le TNM a grossi, qu’il accueille plus de monde, qu’il fait des matinées étudiantes, qu’on fait des supplémentaires, qu’on accueille de l’international, qu’on joue l’été, c’est un lieu qui est un peu à l’étroit. Pas dans la salle – la salle, je pense que nos spectateurs sont encore très heureux –, mais nous, dans les loges, entrepôts, bureaux, salles de répétitions, bref tout ce qui précède la présentation du spectacle sur scène.»
Mais ce qui presse le plus parmi ces plans d’agrandissement du bâtiment, selon la directrice, c’est certainement l’ajout d’une deuxième salle de répétitions qui pourrait élargir la mission de l’institution. «Nous, on veut accompagner des compagnies; on veut offrir un petit lieu de création qui va donner accès à des compagnies émergentes à une structure de diffusion, comme ils le font à ESPACE GO, à Fred-Barry, au Théâtre d’Aujourd’hui. Plus on va faire en sorte qu’il y ait davantage de petits lieux au sein des grandes institutions qui peuvent abriter, même temporairement, un créateur pour lui donner les moyens de créer, plus on permet à toute la structure étatique de se simplifier, de s’alléger. En fait, le créateur, il a besoin de respirer dans sa création, il n’est pas nécessairement obligé de penser qu’il va devoir se créer une structure, qu’il va devoir subventionner, financer, gérer, etc.»
C’est au bien-être du milieu théâtral complet que Lorraine Pintal pense quand elle souhaite un agrandissement du TNM, de sa mission et de sa reconnaissance. «Les feluettes sont nées dans une petite salle, ça a fait un gros hit, tout le monde a capoté, et tout à coup, c’est venu au TNM! Et ça a fait d’autres salles, et ça a fait un opéra, et ça fait un film. Il faut croire, aussi, en cette roue qui tourne entre les théâtres! Et ne pas demander à un théâtre de tout faire. C’est là où je dis que le milieu du théâtre devient plus mature: on est plus conscients des directions des théâtres, de la place que chacun occupe et de comment on peut aider à ce que notre théâtre évolue. Et c’est là où je trouve que c’est intéressant d’avoir une vision plus globale que juste MON théâtre, MA mission, MA programmation.»
Mais bien sûr, à son propre théâtre, il faut bien y penser malgré tout! Surtout quand il célèbre un anniversaire comme ces 65 années d’existence. Même si la direction a préféré pour cette fête éviter la nostalgie et se projeter vers l’avant – ils sont d’ailleurs depuis un an en train de rédiger un «Manifeste du TNM 2016-2021», qui leur permet d’imaginer le théâtre dans la prochaine décennie, avec l’importance qu’il pourrait avoir au sein du portrait culturel québécois –, il y aura tout de même notamment une «exposition qu’on va tenir dès le 19 septembre sur la Promenade des artistes, avec le Partenariat du Quartier des spectacles, où on met en valeur une cinquantaine de magnifiques photos qui sont prises par notre photographe maison, Yves Renaud, et qui est, bien sûr, accompagnée d’un album-souvenir qu’on réalise avec les Éditions du Passage».
Les autres activités serviront en outre à effectuer «une espèce de réhabilitation du rôle de certaines grandes comédiennes qui ont joué ici», mais aussi à démontrer la puissance de certains comédiens de la saison qui débute, grâce à «Les têtes d’affiche du TNM», un évènement «qui se fait avec le Musée des Beaux-Arts. On a des acteurs qui vont performer cinq fois durant l’année devant une toile, bien sûr en lien avec le spectacle dans lequel ils jouent, pour un public choisi ou invité par le Musée et par le TNM. Celui-ci est donc convié à venir fréquenter le Musée une journée et à découvrir un autre aspect de la création artistique».
De la vision, Lorraine Pintal n’en manque pas, et elle n’a pas peur de projeter le TNM dans l’avenir pour assurer sa pérennité; elle a d’ailleurs actuellement un projet de numérisation d’archives et de diffusion de captations vidéo des spectacles sur le web. Donc inévitablement, ces projets de deuxième salle qui accueillerait la création et de réforme numérique permettraient au TNM de s’ouvrir davantage et de rejoindre de nouveaux publics. Par contre, il est certain qu’«on ne peut pas aller aussi vite qu’une compagnie de recherche, et c’est vraiment parce que j’épouse entièrement la mission que se sont donné les fondateurs de préserver un endroit pour les grands classiques, les grandes paroles, le répertoire, qu’on veut dépoussiérer, qu’on veut mettre à jour. Mis à part quelques théâtres qui en font de temps en temps, c’est le TNM qui est reconnu comme le théâtre des grands classiques, et si le Québec perdait ça, à mon avis, ce serait malsain pour notre économie culturelle», affirme fièrement la directrice, en précisant néanmoins qu’elle n’apprécie pas quand les gens cantonnent le Théâtre du Nouveau Monde uniquement dans les classiques.
«On veut, bien sûr, conserver ça, parce que ça fait partie de notre richesse, mais je le redis, on veut vraiment projeter le TNM dans l’avenir, et ça passe par des œuvres de création, ça passe par du répertoire québécois, ça passe par de la découverte de textes internationaux, contemporains, ce qu’on fait de moins en moins, mais que j’aimerais faire de plus en plus. On tient à être le classique d’hier et de demain», ajoute-t-elle, lançant, à tout hasard, que Pourquoi tu pleures…?, la nouvelle création de Christian Bégin présentée au TNM cet automne, pourrait bien être jouée encore dans 15 ans!
Celle qui a toujours une préoccupation sociale en choisissant les textes à programmer – même si parfois certains messages sont moins clairs que d’autres, d’où l’importance de la seconde salle pour pouvoir oser davantage! –, rappelle aussi l’importance de l’approche du metteur en scène quand vient le temps de monter un fameux classique. «Je vais rapidement demander si la vision va être dépoussiérée, parce qu’autrement, il n’y a pas d’intérêt. Je pense au Richard III de Brigitte Haentjens: œuvre ancienne, décor moderne, oui, mais costumes, je dirais d’époque indéfinie. Mais le jeu, la mise en place, les enjeux: là, tu es dans le monde d’aujourd’hui! C’est ça le défi ici au TNM, c’est de dépoussiérer le classique de manière intelligente, fine, et que quand le public est assis dans la salle, qu’il connaît la trame et l’histoire, qu’il soit surpris de la manière dont les choses se font.»
Ce sera certainement le cas de la pièce qui ouvrira cette 65e saison, où on découvrira le Tartuffe de Molière sous la baguette de Denis Marleau, dont l’action sera placée dans le Québec des années 1968-1969, et où on ne trouvera pas de costumes d’époque. Mais malgré plusieurs risques pris dans les 65 ans d’histoire du TNM – citons en exemple les productions de Gauvreau, à l’époque, les Ducharme, le Pelléas et Mélisande de Christian Lapointe l’an dernier, ou même La trilogie des femmes de Wajdi Mouawad, en 2012 –, la metteure en scène concède qu’«il faut défaire des codes, il faut enlever des disquettes. SI on a peur de changer, on est aussi bien de faire autre chose».
Elle est pourtant bien à sa place, puisque ses visions du théâtre, des enjeux culturels d’aujourd’hui, des mouvances gouvernementales en culture et du public semblent être tout à fait justes et recherchées. «Notre public, il ne vient pas se faire conforter, je n’ai jamais senti ça. Quand il y a une production qu’il aime, qu’il trouve drôle, et qu’il est content, par exemple Le tour du monde en 80 jours d’Hugo Bélanger, qui était du bon divertissement, un spectacle génial et magique; le public, dans ce temps-là, il est bon enfant et il adore. Mais il vient voir La trilogie des femmes aussi, et il est secoué, il est bousculé, il ne se comprend plus, mais il aime ça quand même! Il aime ça, il aime être bousculé!», avance-t-elle avec conviction, fière, même, de susciter quelques polémiques avec les productions qu’elle programme ou, du moins, de provoquer des discussions ou débats sociaux.
Lorraine Pintal a certainement mille et un autres projets sur la table, qui ont de quoi l’occuper pour plusieurs années encore, mais pour l’instant elle se permettra de prendre une pause le 3 octobre prochain, après la première de Tartuffe, afin de célébrer les 65 ans du théâtre avec tous ses artisans et partenaires. Pourtant, tapie quelque part dans son tourbillon d’idées bouillonnant, l’idée que la perception des gens envers le Théâtre du Nouveau Monde est faussée continuera de l’obséder, alors elle se fera un plaisir de le rappeler aux invités venus célébrer: «Non, ce n’est pas un théâtre conservateur, oui, la tradition est mise en valeur, mais pas de manière poussiéreuse, oui on a les yeux tournés vers l’avenir, et oui, on est du présent!
Et finalement, personne ne pourra la contredire.