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Crédit photo : André Rival
Ana Alcaide raconte qu’elle puise son inspiration des légendes et traditions sépharades (juifs issus des traditions espagnoles et portugaises), mais aussi en se laissant imprégner de l’ambiance des lieux sacrés de ses villes de prédilection en terre espagnoles. Pourtant, ce qu’elle rapporte de ces moments d’illumination est loin de sonner comme des échos des pompeuses cathédrales, des lugubres secrets des cryptes ou de la rigueur de la vie monacale: il ne faut s’attendre à y trouver ni une étude austère des musiques anciennes ni le côté un peu racoleur des tendances «électroceltiques». L’aura de mystère qui l’entoure est d’une autre nature.
Le fameux nickelharpa, un ancêtre de la viole de Gambe, dit-on, sonne à l’oreille de profane dans des tonalités étonnamment proches de celles du violon. Un peu comme ces chansonniers de ballades traditionnelles irlandaises, qui semblent toujours hésiter entre le plaisir de s’abandonner au rythme et celui de raconter une bonne histoire, on sent d’abord derrière la douceur de la voix de la créatrice le désir de transmettre un récit légendaire. C’est d’ailleurs avec un remarquable talent didactique qu’elle parvient à enchanter, tout en transmettant, à travers et entre ses chansons, le terrible destin des juifs.
Et on ne fait pas qu’écouter Ana Alcaide: on voit son corps porté par l’émotion et son visage qui s’illumine, parvenant ainsi à maintenir la complicité malgré la barrière de la langue. Et, en bonne conteuse, elle sait, au moment où l’on s’y attend le moins, élever un orage dans sa voix. Les auditeurs découvrent alors une tout autre partie d’elle-même, juste, mais beaucoup plus lyrique, et intégrant à ses chants des montées graduelles vers l’extase, décidément contemporaines.
Lorsque le public se trouve conquis par les ardeurs des rythmes andalous de «Khun Caravan» ou des élans plus folichons d’«Ay que casa», il en vient à réaliser que le charme d’Alcaide n’a pas besoin de sa douceur pour agir. Il faut dire que pour ces moments culminants de la soirée, la compositrice a pu s’appuyer sur sa complicité tangible avec le guitariste allemand Rainer Seiferth et sur le merveilleux talent de l’interprète américain Bill Cooley, pour manier les instruments orientaux ou médiévaux, dont le laud, le psautier, le santour et la darbouka.
La musicienne termine avec une chanson en vieux français, à laquelle on ne comprend pas grand-chose… si ce n’est la délicatesse du geste et la beauté du résultat. Du reste, la magie a opéré depuis longtemps. Déjà, à l’entracte, certains spectateurs furent surpris à révéler que cette rencontre constituait «le meilleur moment musical qu’ils aient vécu». Pour cet auditoire restreint, venu souvent à tout hasard, découvrir la dame et son mystérieux nickelharpa, de passage pour la première fois à Montréal, cet envoûtement tient du tour de force.
L'avis
de la rédaction
Grille des chansons
1. Intro
2. La Cantiga del Fuego – El Viaje
3. Como La Luna Y El Sol
4. Outi
5. Luna Sefaradia
6. Elenion
7. Khun Caravan
8. El Pozo Amargo
9. Violin Solo
10. Vals traditional
11. La Cantiga del Fuego – La Canciòn
12. La Folia de la primavera
13. La Esposa selkie
14. Ay que casas
15. Pasacalles Sefardi
Rappel
16. Improvisation autour d'un poème de Blondel de Nesle (Français, XII siècle)
17. El Romeral