La comédie musicale «Mary Poppins» au Théâtre St-Denis à l’occasion de Juste pour rire

Il faut d’abord voir les décors et les costumes d’époque – le Londres des années 1910 –, travail de Jean Bard (décors) et Denis Lavoie (costumes), puisqu’il faut leur donner le crédit qu’ils méritent. C’est la première chose qui nous happe, dès les premières minutes du spectacle, en voyant ces vêtements à la fois jolis et crédibles, très semblables à ceux du film, et ces grands pans de décors qui bougent, se plient et se déplient pour offrir tantôt un panorama de la maison des Banks où le bureau du patriarche, l’entrée et le salon se bordent, tantôt simplement la chambre des enfants, à l’étage.

Puis, on pense au génie d’Alain Jenkins (accessoires) lorsque Mary Poppins réussit, comme dans le film, comme dans cette scène qui nous avait ébahis enfants autant que les jeunes Michael et Jane, à sortir de son sac un porte-manteau et une longue lampe sur pied. Et lorsque la nounou mesure les enfants et fait suspendre son ruban à mesurer dans les airs, on a envie, comme les enfants, de passer dessous, au-dessus, sur les côtés, pour trouver le truc, le tour de magie!

À peine dix minutes passées et nous voilà déjà abasourdis et bouche bée. «Fermez la bouche, ça vous donne des airs de morue, ce que vous n’êtes pas, n’est-ce pas?» nous dira plus tard Mary Poppins; enfin, pas à nous, mais on tâchera de retenir la leçon nous aussi, car qui voudrait désobéir et déplaire à cette irrésistible nounou? Car c’est bien ce qu’elle est: irrésistible, grandiose, charmante, absolument parfaite, la Mary Poppins de Joëlle Lanctôt. On croirait presque à une jeune Julie Andrews, tant elle incarne à merveille les manières, la posture et le ton du personnage popularisé par le film de Disney, celui qui a tant marqué l’imaginaire.

Et que dire de l’aussi parfait Bert de Jean-François Poulin, excellent comédien, tout à fait charmant et possédant une voix chaleureuse qui confère encore plus de bienveillance au personnage. S’il faut avouer que la distribution en entier (une trentaine de comédiens!) est remarquable, il faut aussi reconnaître le flair incroyable du metteur en scène, traducteur et adaptateur Serge Postigo, qui a choisi ses deux personnages principaux avec brio, puisque ceux-ci non seulement brillent grâce à leurs voix sublimes et leur présence très forte, mais aussi se révèlent être absolument parfaits pour le casting, très près des «originaux», sans toutefois être de pâles copies.

Si certaines scènes magiques du film ont été quelque peu écartées, on a tout de même conservé suffisamment de clins d’œil et d’efforts pour garder l’émerveillement et que le charme de Mary Poppins continue d’opérer. Ici, la table déséquilibrée qui se redresse toute seule au seul claquement de doigts de la nounou (scène qui dans le film avait lieu dans la chambre des enfants et qui a ici été transposée dans une cuisine désordonnée), là, un dessin de Bert qui prend vie alors qu’il y plonge la main pour en ressortir avec un vrai bouquet de fleurs à offrir à Mary, et là encore, les chevaux de carrousel et les pingouins animés d’un segment en animation du film, troqués pour une scène où des statues de bronze bougent et chantent dans le parc, ce qui est plus facile à réaliser et tout aussi remarquable et éblouissant.

Il y a aussi l’humour et les petits gags insufflés au texte ici et là, ainsi que ce ton un peu baveux, un peu sarcastique qu’emploie Mary Poppins tout en étant si rigoureuse, soignée et ayant un sens parfait de la répartie, ce qui la rend plus jouissive encore. Mais l’humour ne passe pas que par la nounou, puisque des personnages comme Mrs Brill (Claire Jacques) et Robertson Ay (Isabeau Proulx-Lemire), les deux domestiques de la famille Banks, proposent une très belle dynamique comique, alors que d’autres, qui ne se retrouvent pas dans le film, prennent dans la comédie musicale une certaine importance et ravissent avec leur exubérance, leur dynamisme et leur belle folie (on pense à Mrs Corry (Katee Julien), qui ressemble presque au Chapelier Fou d’Alice au pays des merveilles, et à Mrs Andrew (Frédérike Bédard), complètement disjonctée et étonnante).

C’est effectivement une belle folie qui caractérise l’ensemble du spectacle, alors qu’on passe d’une amusante scène où Mary Poppins apprend aux enfants à inventer des mots pour s’exprimer avec précision – d’où l’apparition du fameux «Supercalifragilisticexpialidocieux» – qui sera suivie d’une superbe chorégraphie des plus enlevantes, grandioses et impressionnantes et qui sera bien applaudie, à une danse absolument parfaite au croisement de la claquette et du gumboots, réunissant les ramoneurs sur les toits aux côtés de Bert, Mary Poppins et les enfants. Ce numéro, aussi divertissant qu’impressionnant, sera sans fin, alors que la danse sera suivie d’une envolée de Bert dans les airs, qui fera des acrobaties pour le plus grand plaisir de tous, alors que le public, debout, applaudit à tout rompre. Pendant un moment, on aurait presque cru que les ramoneurs allaient voler la vedette à Mary Poppins!

Mais c’était mal connaître la nounou, qui avait encore plus d’une lampe et d’un porte-manteau dans son sac! Car l’effet Poppins se fait sentir partout: dans Winifred (Élysabeth Rivest) qui prend finalement confiance en elle et ose aller négocier le salaire de son mari à la banque; dans les enfants, qui chemineront dans la vie avec les sages leçons de leur nounou, retenant que «la vie n’attend que vous, allez-y!» et que rien n’est impossible; dans M. Banks (René Simard), qui comprendra finalement que bien avant le travail, il y a la famille, et que celle-ci est source d’une bien plus grande richesse; et dans les spectateurs, qui tout au long auront gardé un grand sourire aux lèvres et un cœur d’enfant absolument comblé.

Car tous ceux qui croisent le chemin de Mary Poppins s’en trouvent plus heureux et joyeux, et le public n’y fait pas exception. Même après trois généreuses heures de spectacle, on sort du Théâtre St-Denis le cœur léger, complètement émerveillé, la tête pleine d’airs joyeux et vers d’oreille, de belles morales, et surtout, la bouche bée comme une morue!

La comédie musicale Mary Poppins est une production de Juste pour rire, mise en scène, adaptée et traduite par Serge Postigo. Elle est présentée au Théâtre St-Denis jusqu’au 13 août 2016.