«Rêve» de Stephan Thoss au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts

L’histoire est celle de la Rêveuse, cette écrivaine agitée et torturée par son désir de créer des personnages, de leur donner vie. Tandis qu’elle est submergée par les songes qui emplissent son sommeil, elle est accompagnée par le Rêveur, une âme bienveillante qui la protège. Ce ballet est composé de divers tableaux qui se succèdent, mais qui ne s’inscrivent pas nécessairement dans une continuité linéaire. À certains moments, on voit la Rêveuse tenter d’affronter son anxiété tandis qu’elle voit ses personnages évoluer alors qu’elle est toujours endormie.

D’autres scènes sont l’occasion, pour le public, de voir ces fameux êtres issus de son imagination. Nous rencontrons ainsi plusieurs personnages colorés qui cherchent, tant bien que mal, à sortir de la tête de l’artiste et à mener une vie qui leur est propre. Ces personnes ne sont pas encore tout à fait définies et semblent avoir un vécu farfelu, comme seul le monde du rêve peut se le permettre. On remarque l’histoire de la Femme Lampe, qui est amoureuse de l’Homme Miroir, mais puisque cette dernière craint qu’il ne la rejette, elle préfère ne pas lui révéler ses sentiments.

Le Rêveur prend également les traits de l’amoureux, sa présence est réconfortante et empreinte d’affection; lorsqu’il aperçoit sa compagne s’enliser dans les méandres de l’inconscient, il la ramène, près de lui. Les décors complimentent à merveille l’univers surréaliste de Stephan Thoss, tout comme la musique et les images. Les influences du peintre René Magritte sont bien présentes et elles sont très bien intégrées dans la vision absurde du processus créatif de Thoss, sans jamais devenir un pastiche.

Stephan Thoss possède plusieurs talents, et cela lui est fort utile, puisque le chorégraphe préfère concevoir lui-même la plupart des éléments nécessaires à la création de ses ballets plutôt que de les expliquer à ses collaborateurs. C’est pour cette raison que l’artiste allemand a conçu lui-même la trame musicale, la vidéo, les décors, les costumes et l’éclairage de Rêve.

Le danseur et créateur est reconnu pour la qualité des mouvements qu’il incorpore à ses ballets, mais également pour son habileté à traduire ses idées en pas de danse. En ce qui a trait à Rêve, les mouvements des danseurs représentent les détails de l’histoire. Son aversion à expliquer les choses s’applique également à ses pièces; le danseur ne cherche pas à se faire comprendre et ne fournit pas de détails pour faciliter l’interprétation de son travail. Les danseurs ont fait un travail remarquable; leurs pas étaient gracieux, intenses et naturels.

Ce ballet contemporain se démarque par son originalité, certes, mais aussi par la finesse des ballerines et des ballerins, qui ont interprété Rêve de façon sublime. La finale, où la Rêveuse affronte ses personnages qui lui font face, est très forte. Les différents duos sont aussi vraiment très jolis. La chimie entre la Rêveuse et son amoureux (le Rêveur) est extraordinaire.

Bible urbaine avait assisté à ce ballet en 2013 et avait particulièrement apprécié la vision énigmatique de Thoss. Puisque cette pièce est surréaliste et comporte plusieurs éléments qui apparaissent, du moins à première vue, disparates, la revoir fut un grand plaisir. Le spectateur, qui serait tenté d’y assister encore une fois pourra ainsi redécouvrir ou explorer plus en profondeur l’esprit du créateur.

La Rêveuse représente peut-être le tourment créatif de Thoss? La journaliste Shelley Pomerance, qui a animé la causerie qui s’est tenue avant la représentation, croit quant à elle que oui. Elle pense également que la Rêveuse et le Rêveur sont inspirés de la vie et de la collaboration professionnelle du chorégraphe et de son épouse, qui travaille avec lui.

Le ballet «Rêve» est présenté du 26 mai au 4 juin 2016 au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts.