ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Andrée Lanthier
Parfois, sur une scène, il arrive qu’un artiste manifeste un talent et une aura qui emporte tout ce qui l’entoure et fait reposer tout le spectacle sur ses seules épaules. C’était, d’après ce que raconte cette version des derniers jours d’un grand théâtre burlesque de Montréal, le cas de Lili Saint-Cyr. Dans cette fantaisie historique toutefois, la grâce de Julia Juhas, interprète de l’effeuilleuse, est loin d’apparaître au premier plan. Il est plus étonnant encore de constater à quel point dans ce scénario créé par deux compositeurs, les musiciens présents sur scène, ne prennent jamais le pas sur la comédie, mais parviennent à maintenir l’atmosphère et à harmoniser les gestes de chacun, avec leurs mélodies originales.
Ils soutiennent ainsi le jeu des acteurs qui s’intègre assez bien aux chants et aux pas de danse qui les entourent pour donner l’impression à une chorégraphie presque continue. Et par bonheur, le côté comédie, très présent, quoiqu’en langue de Shakespeare, demeure accessible aux fidèles de la langue de Molière. Ce brillant résultat doit sans doute être attribué aussi à la sage direction artistique de Roy Surette, qui, en orchestrant les coups de maître de chacun, à su maintenir, en continu, cet effet à la fois fluide et grotesque, où les moments de gloire de chacun se manifestent à tour de rôle comme des feux d’artifice.
Pourtant, plusieurs éléments, au départ, laissaient l’impression d’un coup de dés: se lancer dans une comédie musicale, dont le propos est introduit par des acteurs qui chantent et dansent comme ils peuvent, avec des danseuses au jeu parfois inégal, ne garantissaient certes pas la gloire. Mais il est presque impossible de résister aux flots de rires qui envahissent à la moindre apparition des deux indéniables révélations de l’art clownesque que sont Johah Carson, en policier niais et, encore plus, Michel Perron, en méchant curé francophone.
Dans la plus pure tradition des années folles, la farce y est souvent coquine. Dans ce contexte général de reconstitution historique, d’ailleurs assez réussi, il faudrait être bien prude pour s’en offusquer. La justesse du ton n’a cependant pas empêché les auteurs d’arranger parfois les faits comme on le ferait librement avec une vieille partition. Ainsi des détails, trop beaux pour être inventés, sont évoqués, comme le moyen par lequel Lili Saint-Cyr est réellement parvenue à contourner les lois contre l’effeuillage. Mais, ailleurs, on trafique l’histoire au point d’inventer une idylle entre Pax Plante et Saint-Cyr.
Ce trait d’imagination, faute d’être crédible, garde sa raison d’être: il offre une profondeur et un regard critique, de la part de l’amant déchiré, qui permet de passer de la joyeuse impertinence à la pertinence et d’éviter ainsi l’essoufflement après la légèreté. En guise de consolation pour la fin du Gayety, les auteurs savent faire sentir que la farce politique, dont cette ère d’ingéniosité coquine se moquait déjà, continue, pour sa part, bel et bien d’exister.
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Par Andrée Lanthier
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