James Hyndman présente «Lettre au père» de Kafka au Théâtre de Quat’Sous – Bible urbaine

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James Hyndman présente «Lettre au père» de Kafka au Théâtre de Quat’Sous

James Hyndman présente «Lettre au père» de Kafka au Théâtre de Quat’Sous

Tenter de rendre le très personnel presque universel

Publié le 19 avril 2016 par Alice Côté Dupuis

Crédit photo : Isabelle Lévesque (photo de couverture) / Pierre Manning et Julie Rivard

C’était la dernière lecture de l’année effectuée par James Hyndman au Théâtre de Quat’Sous, lundi, à l’occasion de ses «Longs courriers», perpétrés depuis trois ans dans la même institution, à raison de quatre événements par saison. Pour l’occasion, et toujours dans leur cycle de lectures de textes épistolaires, Hyndman et son complice à la recherche et à l’animation Stéphane Lépine ont décidé d’offrir au public la lecture d’un extrait de la longue Lettre au père de Franz Kafka, et d’ainsi tenter de rejoindre les gens avec une histoire a priori très personnelle.

Après un énième conflit avec son père, Franz Kafka décide de lui écrire une lettre dans laquelle il passe à travers toute leur vie et leur relation, en citant de nombreux exemples de situations où le père l’aurait humilité, où il l’aurait blessé, où il aurait été méchant, sévère, incohérent, et en tentant de répondre de façon très étoffée à tous ces souvenirs. En mettant sur papier ses propres émotions vécues à toutes ces occasions, de même que son sentiment général face à son père, Kafka se vide ainsi le cœur dans l’espoir de s’apaiser et de rendre leurs échanges plus harmonieux; et sans doute, aussi, dans l’espoir inavoué que son père tombe sur cette lettre – qui n’était pas destinée à publication -, et sache à quel point sa relation avec son fils était ratée.

Sortant de la bouche du talentueux comédien québécois, cette lettre comme une décharge, comme un cri du cœur aux sentiments mélangés, et ces mots, si judicieusement choisis par Kafka pour accabler son propre père, semblent toutefois trouver écho; et les envolées d’émotions de James Hyndman ne mettent pas beaucoup de temps à nous interpeller, voire à nous stupéfier. Sans mise en scène, sans décor et sans costume, le lecteur se livre comme si rien de tout ça ne manquait; comme s’il se produisait simplement dans une pièce à proprement parler, mais en solo; et on aurait presque dit qu’il eût appris certains passages par cœur, malgré le contexte de «lecture».

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Il va sans dire que James Hyndman et son complice Stéphane Lépine ne font pas les choses à moitié. Ce dernier prend d’ailleurs la peine, avant chaque lecture, de s’adresser au public pour expliquer le contexte historique derrière chaque texte que Hyndman lira, et pour justifier leur choix d’offrir cette œuvre, par exemple. Ainsi, dans le cas de la Lettre au père, plusieurs informations présentées en amont de la lecture ont été très éclairantes pour savoir apprécier l’œuvre lue ainsi que toutes les autres de Kafka. C’est d’ailleurs durant cette présentation, telle une préface, que nous avons appris d’abord que cette lettre rédigée en 1919 ne sera jamais remise au principal intéressé, puisqu’elle ne fut publiée qu’en 1952 après la mort du patriarche Kafka, mais surtout que c’est à la suite du refus de son père de le voir se marier avec Julie Wohryzeck que Franz Kafka déversa toute sa colère accumulée contre son père, tout au long de sa vie, dans cette longue lettre.

Information utile s’il en est une afin de bien comprendre la colère de Kafka, puisqu’en sélectionnant uniquement la fin de la lettre et en délaissant son introduction, qui aurait donné aux spectateurs d’utiles renseignements sur les motifs initiaux de l’auteur à écrire à son père, Hyndman et Lépine ont peut-être privé les spectateurs de la gradation des événements et des émotions, de la réminiscence d’événements marquants, du développement, page après page, des sentiments mélangés de l’auteur, jusqu’à arriver à cette portion lue où finalement, Kafka s’attarde énormément au mariage. On sent que c’est vraiment la goutte qui a fait déborder le vase, ce refus du père de voir son fils se marier avec cette jeune femme, et qui a motivé cette lettre; mais pour que Stéphane Lépine qualifie cette lettre de «terrible» à trois ou quatre occasions avant sa lecture, il y avait sans doute beaucoup plus qui nous a été refusé.

On sent malgré tout que le père n’était pas en accord avec les activités de Kafka en lien à la littérature et à l’écriture, et que ce dernier se sentait complètement incompris de son père. Même dans la réponse imaginée par Kafka que son père aurait pu lui donner après la lecture de sa propre lettre, l’auteur le dépeint comme un être froid, qui ne comprend pas son fils, qui remet la faute sur lui et qui n’a que faire de ses reproches. Mais comme les propos de cette lettre sont excessivement personnels, et qu’on y traite beaucoup de l’importance du mariage et du fait que Kafka aurait voulu se marier, il faut tout de même que les thèmes du mariage et du conflit père-fils – pas tout à fait universels – en soient qui interpelle le spectateur, car autrement, l’attention peut rapidement diminuer.

Peut-être était-il donc plus difficile de rejoindre tout le monde avec ce choix de lecture et d’extrait lu, malgré l’interprétation tout à fait brillante, vivante, très animée et juste dans la livraison des différentes émotions par James Hyndman. Il était parfois ardu de rester concentré devant l’importance de chaque mot et la lourdeur des reproches. Les envolées dramatiques ou de colère livrées avec fortes émotions par le comédien nous rattrapent toujours instantanément si notre attention s’est affaiblie momentanément, mais il est bien sûr toujours difficile de rembarquer dans le flot de paroles et de reproches après avoir perdu le fil.

Peut-être que la formule avec lecteur invité tenté lors de la lecture précédente – avec Evelyne de la Chenelière – sert plus facilement le contexte de lecture, rendant le tout plus dynamique et moins essoufflant. Malgré tout, il est incontestable que l’interprétation très sentie d’Hyndman joue pour beaucoup dans le succès de ces «Longs courriers», qui reviendront d’ailleurs pour une quatrième saison l’an prochain.

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