Entrevue avec l'actrice Kathleen Fortin, cette voix lumineuse – Bible urbaine

ThéâtreEntrevues

Entrevue avec l’actrice Kathleen Fortin, cette voix lumineuse

Entrevue avec l’actrice Kathleen Fortin, cette voix lumineuse

Un entretien riche en réflexions sur ce métier qui la comble

Publié le 4 mai 2016 par Elise Lagacé

Crédit photo : Patrick Jougla

Nous nous sommes entretenus avec Kathleen Fortin dans la foulée des représentations de la pièce Révolution à Laval à l'ESPACE GO. Elle y tenait le rôle de la très colorée Mercedes Urbain, qui commet l'innommable avec son mari dans le but d'obtenir le très convoité titre de maire de Laval. Une «first lady» pas très conventionnelle, un rôle en or. Mais surtout, un premier vrai rôle comique pour cette actrice qui n'avait pas encore flirté avec ce genre très populaire au Québec. Nous avons abordé ce rôle comique (et les autres) avec celle qui, depuis ses débuts, se retrouve souvent dans des rôles plus dramatiques. Un entretien généreux et riche en réflexions sur ce métier qui la comble.

Kathleen Fortin nous enchante depuis de nombreuses années dans des rôles variés, autant sur les planches que les écrans. On l’a vue dans Les Invincibles et entendu chanter dans Nelligan et Les Belles-soeurs. Mais il ne s’agit là que de quelques-uns des nombreux rôles qui ont jalonné son parcours depuis sa sortie de l’École nationale de théâtre en 1997. Elle vient tout récemment de retrouver un vieux complice, Marc Béland, dans un duo comique des plus grotesques et désopilants, avec ce couple de maires, créés par Guillaume Lagarde dans Révolution à LavalDans cette démonstration d’humour noir, Fortin a pu prendre plaisir à découvrir le jeu comique.

«Au départ, je ne suis pas quelqu’un qui était très attiré par la comédie, parce que j’avais l’impression d’être davantage une actrice tragique. Mais quand j’ai compris que la comédie, c’était surtout une affaire de précision, c’est là que j’ai pu trouver mon plaisir, puisque je suis une actrice qui aime vraiment ce qui est précis. C’est là que je trouve une grande part de mon plaisir dans l’interprétation.»

Cependant, ce n’est pas l’idée d’explorer le registre comique qui l’a séduite, mais bien la pièce elle-même et les mots de Lagarde qu’elle tient en haute estime: «J’ai été séduite dès le départ quand j’ai lu ça. L’écriture de Guillaume est vraiment surprenante. C’est hilarant, avec des personnages plus grands que nature, et grossiers. J’ai eu beaucoup de plaisir à jouer dans cette espèce de laideur de l’humanité. Mais en même temps, avec beaucoup d’humour, ce qui fait qu’on s’attache à ses personnages, et on se rend compte qu’il y a toujours plus grands qu’eux.»

Une pièce forte qui ose se mesurer au thème de la corruption sans mettre de gants blancs, dont le grotesque, qui fut employé, et qui en a surpris plus d’un. «Guillaume se sert de prémisses connues pour nous amener dans l’univers de la politique municipale au Québec, mais avec toute sa langue qui est tellement colorée et étonnante, et qu’on se retrouve dans le grotesque. On est pas dans le théâtre politique et documentaire, loin de là. Mais il nous amène dans le tellement clownesque, qu’il nous ramène proche de la réalité et c’est assez troublant.» Elle remarque que cette vision microcosmique nous permet d’avoir une vue plus large sur notre monde. «En ciblant la politique municipale, on élargit et on se rend compte que c’est la même chose au provincial et au fédéral».

Sur ce plan, elle souligne d’ailleurs que dans Révolution à Lavalcomme dans le très populaire 5 à 7 joué l’automne dernier sur les planches de ce même théâtre (mise en scène de Mani Soleymanlou), on plonge vers l’intime pour retrouver une vérité plus grande que soi. «Plus on est près de nous, plus c’est universel.» Sur ce projet, comme sur l’autre, elle s’est projetée dans l’intimité d’un personnage fortement incarné: «5 à 7, c’était un autre projet formidable où le très intime devient universel. La juxtaposition de nos expériences et la création de liens entre nous en ont fait une oeuvre très forte qui permettait aux spectateurs d’aller dans leurs propres existences. Par les échanges, nous avons réussi à atteindre un rythme de réflexion qui est très de notre époque, tout va tellement vite.»

Sur la question du rythme, justement, de celui qu’elle parvient à maintenir autant dans l’humour que dans la musique, elle parle de ce don qui lui a été donné à la naissance: «Je chante, mais je n’ai pas de mérite, j’ai eu ça comme cadeau de naissance; un très beau cadeau. C’est peut-être pour ça que je suis aussi sensible au travail de rythme que l’on fait dans l’humour.» Cette capacité à interpréter sans lassitude aucune se reconnaît lorsque l’on est témoin des performances théâtrales de Kathleen Fortin qui parvient, soir après soir, à jouer chaque réplique avec la même énergie que si c’était la première fois. À ce sujet, elle le reconnaît: «Je ne suis pas une actrice qui va réinventer, mais qui va plutôt tendre vers une certaine constance. Trouver ce point de précision et le maintenir. C’est dans ce cadre que je trouve mon plaisir et ma liberté.»

La présentation de Révolution à Laval fut légèrement teintée par le coup de gueule d’Annick Lefebvre envers l’ESPACE GO qui présentait la pièce au même moment. Lorsqu’on aborde le sujet des tensions entre femmes, elle déboulonne spontanément ce qu’elle qualifie de mythe. «Je trouve que c’est un mythe l’espèce de gang de filles qui se bitchent. On vit quotidiennement avec cette peur-là. Même que je l’avais quand on a fait les «Belles-soeurs», il s’agissait de 20 filles, je me suis dit «mon Dieu ça va être effrayant!», et au contraire. Quand la solidarité féminine est là, ça peut être très fort et très beau, il faut seulement lui laisser sa chance.»

Elle poursuit sur cette même question en revenant sur une autre expérience à dominante féminine: «Sur 5 à 7, c’était aussi des filles, et on a plongé dans une expérience axée sur l’authenticité. Mes collègues et moi étions aussi authentiques les unes envers les autres, et c’est là qu’on se rend compte que la solidarité féminine, c’est une affaire d’authenticité. Lorsqu’on est le plus authentique possible, on ne peut pas ne pas être touchée par notre voisine.»

Au final, Kathleen Fortin revient toujours sur la chance qui a marqué son parcours. Avec le recul elle le voit comme un immense cadeau «Je suis très privilégiée et j’en suis consciente. Je joue dans des projets extraordinaires et on ne m’a jamais cantonnée dans un type de rôle en particulier. Ça aussi, j’en suis très reconnaissante. Je peux aller explorer toutes les facettes de l’actrice.» Elle ne s’est d’ailleurs jamais cachée de son amour profond pour les planches et nous explique qu’elle apprécie la liberté que le théâtre offre aux acteurs. «C’est sûr que le théâtre apporte une liberté quant au casting, sur scène on  va croire au personnage ne serait-ce que par la convention et c’est cette convention qui me permet, par exemple, de jouer encore la jeune fille tout autant que la femme mûre, ou bien le personnage très fort ou bien en colère.» En définitive c’est ce qui la rend le plus satisfaite.

«C’est là mon grand plaisir de dépasser les limites de l’actrice et de me surprendre moi-même. C’est ça que j’espère à chaque fois. De ne pas jouer avec mes facilités. Et ça on me le permet parce que je joue beaucoup au théâtre.»

Mais c’est en reconnaissant cette chance qu’elle a qu’elle reconnaît qu’effectivement le théâtre québécois traverse une crise. «Pour tous ces rôles, je ressens énormément de gratitude, parce que j’en connais des acteurs fabuleux qui ne travaillent pas, et c’est ça le grand problème. Tellement de monde et tellement peu de travail. C’est de pire en pire; il y a de moins en moins d’argent et de subventions, on souhaite que ça s’améliore au lieu de continuer à se détériorer. Même les compagnies d’expérience qui ont du succès ne reçoivent presque plus de subventions, et les cachets s’amincissent. La prochaine étape, c’est le bénévolat, et là, si on est rendu à devoir le faire gratuitement, on va avoir un problème.»

Voilà donc, peut-être, où il faudrait en venir; se questionner non pas sur la vocation de tel ou tel théâtre, mais plutôt sur les subventions qui disparaissent comme peau de chagrin, et condamne le théâtre québécois à faire des pieds et des mains pour survivre, puis va, inévitablement, tendre vers des œuvres plus populaires, qui draineront un plus large public.

L'événement en photos

Par Claude Gagnon

  • Entrevue avec l’actrice Kathleen Fortin, cette voix lumineuse
  • Entrevue avec l’actrice Kathleen Fortin, cette voix lumineuse
  • Entrevue avec l’actrice Kathleen Fortin, cette voix lumineuse
  • Entrevue avec l’actrice Kathleen Fortin, cette voix lumineuse
  • Entrevue avec l’actrice Kathleen Fortin, cette voix lumineuse
  • Entrevue avec l’actrice Kathleen Fortin, cette voix lumineuse
  • Entrevue avec l’actrice Kathleen Fortin, cette voix lumineuse

Nos recommandations :

Vos commentaires

Revenir au début