«The Lobster» de Yorgos Lanthimos – Bible urbaine

CinémaCritiques de films

«The Lobster» de Yorgos Lanthimos

«The Lobster» de Yorgos Lanthimos

La dictature du couple filmé par le plus misanthrope des cinéastes grecs

Publié le 10 avril 2016 par Lisa Revil

Crédit photo : www.allocine.fr

Prix du jury au 68e Festival de Cannes en 2015, The Lobster est enfin sur les écrans québécois depuis le vendredi 25 mars. Yorgos Lanthimos dirige ici son premier film en langue anglaise, interprété par des acteurs internationaux (Colin Farrell, Rachel Weisz). Passe-droit obtenu grâce aux bonnes performances de ses précédents films en festival: Alps (prix du scénario à Venise en 2011) et Canine (prix un certain regard à Cannes en 2009). Le succès n'adoucit pas le réalisateur qui nous présente un conte amer sur les relations humaines.

Dans un futur proche, le célibat est interdit par la loi. Les personnes seules sont conduites dans un hôtel de luxe et possèdent 45 jours pour trouver l’âme sœur. Faute de quoi, ils seront transformés en un animal de leur choix. David, incarné par un Colin Farrell moustachu, s’échappe et parvient à rejoindre un groupe de célibataires rebelles mené par Léa Seydoux. À l’opposé, les relations romantiques y sont strictement prohibées.

«Because lobsters live for over one hundred years, are blue-blooded like aristocrats, and stay fertile all their lives», déclame David quand on lui demande en quel animal il aimerait se transformer s’il ne parvient pas à trouver une amoureuse. Un bon choix, lui répliquent les gérants de l’hôtel. Le titre du long-métrage provient de cette conversation étrange. Si le réalisateur avait choisi un titre plus honnête, le film aurait aisément pu s’appeler De la dictature du couple.

Dans The Lobster, trouver l’âme sœur est vitale. Cette course contre la montre rend l’ensemble des personnages assez antipathiques. Dans un sens, leurs comportements ressemblent déjà aux animaux sauvages qu’ils redoutent de devenir.

L’un des actes récurrents est que ces célibataires basent la quête de leurs âmes soeurs sur la similarité. La fille qui saigne du nez aime le boiteux qui saigne du nez (ou fait semblant), la belle blonde cherche un mari qui a des beaux cheveux, etc. Cette vision assez sommaire de l’amour est-elle pertinente? Que veut nous dire le réalisateur par ce stratagème? Est-on devenu si narcissique que, finalement, ce que l’on cherche dans l’autre, c’est l’amour de soi?

Le film détient l’un des scénarios les plus brillants de l’année. Naviguant près des côtes fantastiques, le couple décrit dans The Lobster est pourtant bien le nôtre. Dans plusieurs entretiens les scénaristes expliquent qu’ils sont partis de situations réelles du célibat pour ensuite les déformer et les pousser à l’extrême.

C’est un portrait noir de la nature humaine que dresse le cinéaste et une certaine ombre «hobbesienne» plane sur cette Irlande fantasmée. Les couples autant que l’amitié sont passés à la moulinette. Même le trio formé par Farrell-Whishaw-John C. Reilly ne résistera pas longtemps à cette ambiance primitive. Et il n’y a finalement que la poésie de la voix off dictée par Rachel Weisz qui donne un peu de baume au cœur à ce monde bestial.

La violence des relations est portée à son summum par la froideur photographique de l’image. Ces paysages épurés apportent au film une beauté graphique. Les couleurs grisâtres sonnent comme un choix fort tant elles correspondent à l’humeur des protagonistes: toujours dans le gris, dépourvues de couleurs vives et de passion. L’égoïsme des personnages tient chaque seconde le spectateur à distance. On ne ressent pas la moindre compassion pour ces êtres presque désincarnés. Si le film invite à la réflexion, il ne crée jamais d’émotion directe.

Le problème du film est là: comment percevoir une oeuvre dans laquelle il est impossible d’être happé par l’histoire? Aussitôt vu, aussitôt oublié. Pourtant, au-delà du propre récit, les questions posées par ce long-métrage sur notre vision du célibat et des relations amoureuses restent.

Cette contre-utopie n’est pas si loin de nous. Le réalisateur appuie ici sur une plaie ouverte de nos sociétés modernes: le manque de lien. Son seul et pauvre remède se trouvant, au regard du film, dans le couple.

Film à déconseiller fortement pour un premier rendez-vous! À part si vous êtes partant pour vous lancer dans un tango mortel sur les bienfaits et méfaits de la vie à deux.

Après Canine et sa diatribe de la cellule familiale, Yorgos Lanthimos continue de poser ses questions à voix haute. The Lobster est un film à apprécier comme un conte philosophique. Le réalisateur se positionne dans la lignée d’un Terrence Malick ou plutôt de Lars Von Trier pour ce petit côté misanthrope.

Son sixième long-métrage est déjà en préparation: The Favourite. Rachel Weisz et Emma Stone se donneront la réplique pour ce film d’époque. L’action se déroulera dans l’Angleterre du 17e siècle et plus exactement dans la cour de la reine Anne, dernière souveraine de la maison Stuart. Yorgos Lanthimos est devenu rapidement le réalisateur grec favori d’un certain monde cinématographique.

Pas de doute que le film sera en liste pour Cannes, Venise ou Berlin.

L'événement en photos

Par www.allocine.fr

  • «The Lobster» de Yorgos Lanthimos
  • «The Lobster» de Yorgos Lanthimos
    IMG_2135.CR2
  • «The Lobster» de Yorgos Lanthimos
  • «The Lobster» de Yorgos Lanthimos
  • «The Lobster» de Yorgos Lanthimos
  • «The Lobster» de Yorgos Lanthimos

L'avis


de la rédaction

Nos recommandations :

Critiques de films Critique-Un-paradis-pour-tous-Robert-Morin-Bible-urbaine

«Un paradis pour tous» de Robert Morin

Nos 5 suggestions Netflix Netflix-Mars-2016-Ruby-Sparks-Bible-Urbaine-Cover

«Les trésors enfouis de Netflix» – Mars 2016

Vos commentaires

Revenir au début