ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Maxime Cormier
Simone a été une grande actrice récipiendaire de Gémeaux, mais elle ne joue plus depuis qu’elle a commencé à avoir d’importantes pertes de mémoire. Déménagée de force à Fort McMurray en Alberta par sa fille Simone-Alice qui y habite pour suivre son mari – avec qui elle tente tant bien que mal d’avoir des enfants -, afin qu’elle soit proche de cette dite fille, Simone se retrouve coincée dans un centre pour personnes âgées moche; trop moche pour elle, son manteau griffé, son beau chapeau et sa réputation. D’autant plus qu’elle y est coincée en compagnie de Jessy, un vieux cowboy de 70 ans pris dans un fauteuil roulant parce que ses muscles refusent de lui obéir, et qui n’est pas trop commode. Peu à peu, à force de se côtoyer sans trop le vouloir, les deux finiront pourtant par se trouver des points communs… mais pas nécessairement ceux auxquels on penserait.
Le texte d’Eugénie Beaudry allie de très jolie façon la poésie du franglais – le parler mi-français, mi-anglais qu’on retrouve dans ces villes canadiennes où des francophones du pays arrivent en masse pour travailler, mais sont baignés dans un milieu anglophone – aux mots parfois crus, qui servent à dire les choses franchement, sans passer par quatre chemins. Cette langue colorée, le Néo-Brunswickois Robin-Joël Cool (Jessy de 35 ans) la maîtrise à merveille, faisant sourire grâce à ses expressions et son débit rapide, parfois difficile à cerner (surtout lorsque parlé dans un micro avec une légère réverbération), mais toujours avec aplomb et naturel; mais il fait aussi plaisir de découvrir Vincent Bilodeau (Jessy de 70 ans) l’apprivoiser et la livrer à sa façon.
Les mots de Beaudry coulent, comme si elle-même baignait dans cette culture à mi-chemin entre le français et l’anglais, et il fait plaisir de constater les critiques sociales présentes dans son œuvre; des sujets trop peu abordés. On y parle surtout de la façon dont on traite les aînés, mais aussi des questions environnementales, grâce au rappel constant d’un pipeline dans les alentours du centre de personnes âgées, et au personnage absent – c’est le cas de le dire! – de Peter, mari de Simone-Alice (Eugénie Beaudry), travailleur sur les chantiers de pipeline.
La pièce présente certaines longueurs, surtout durant le début, qui semble décousu de par la confusion apportée par le personnage de Robin-Joël Cool. Celui-ci est présent en musique, en voix hors-champ, en tant que son propre personnage, dont on ne saisit pas tout de suite l’identité, et en interpellant les personnages sur la scène dans leur propre action, qui est sensée se dérouler bien des années plus tard. Ça prend donc un certain moment d’adaptation avant de cerner les procédés et les intentions de la mise en scène de Jean-Simon Traversy et de l’histoire imaginée par Beaudry.
On se demande aussi si les micros sont pertinents ou plutôt encombrants, avec leurs nombreuses pédales à maîtriser. Mais on apprécie néanmoins le décor très simple et efficace, qui aide à faire les connexions entre les scènes dans le centre de personnes âgées – sur la scène, avec des éclairages froids aux DEL – et les autres au bas de la scène, avec le jeune Jessy dans ce qu’on imagine être un bar, avec des lumières plus chaleureuses.
C’est donc un meilleur dosage qui permettrait de resserrer cette pièce et d’en faire un spectacle non seulement plus compréhensible, mais aussi plus efficace. Car tel qu’il est actuellement, il semble y avoir un peu trop de tout. L’apport musical parfois bienvenu (dont une sympathique version de «Stayin’ Alive» des Bee Gees), parfois superflu de Cool, tout comme les interventions vocales de son Jessy jeune à l’endroit du Jessy âgé, brisent quelquefois un élan, et contribuent plus à perdre le fil qu’à le tisser. Malgré tout, on apprécie le personnage crédible de Robin-Joël Cool, amusant dans son personnage de cowboy jeune, qui profite de la vie, qui est rieur et audacieux, frondeur, même.
Pourtant, à un moment, tout bascule, et notre intérêt est davantage capté: serait-ce à partir de cette scène à la fois hilarante et attendrissante où les deux personnes âgées essaient de faire l’amour? Ou même un peu avant, alors qu’on comprend que l’animosité entre Jessy et Simone a laissé place à l’affection, au réconfort? Toujours est-il qu’à partir d’un moment, ces personnages nous touchent pour vrai, et on perçoit alors véritablement tout le talent de Louise Bombardier (Simone) et de Vincent Bilodeau, qui sont percutants lorsque laissés à eux-mêmes, faisant face au public, mais aussi au néant.
Ce qu’on retiendra néanmoins de Simone et le whole shebang, c’est la façon dont Eugénie Beaudry nous montre, sans pointer, la façon dont on traite nos aînés. En se retrouvant à la même place, dans cette maison de personnes âgées éloignée de tout, malgré leur bagage de vie diamétralement opposé, les personnages de Simone et de Jessy sont l’exemple parfait pour illustrer qu’au final, le même sort est réservé à tous nos «vieux», peu importe leur statut social ou leur renommée. Qui plus est, les jeunes personnages de Jessy à 35 ans et de Simone-Alice prouvent, quant à eux, que la jeune génération ne s’intéresse pas tellement à leurs aînés, à ce qu’ils ont été; il n’y a que les aînés entre eux pour s’y intéresser et se le rappeler. Les jeunes les oublient plutôt, en les stationnant dans quelque centre que ce soit.
Alors en bout de parcours, que reste-t-il à ces gens vieillissants, si toute leur vie durant, ils n’ont pas su entretenir de relations humaines durables? Peut-être vaut-il mieux oublier, comme Simone.
«Simone et le whole shebang» est une création d’Eugénie Beaudry, mise en scène par Jean-Simon Traversy, avec Louise Bombardier, Vincent Bilodeau, Robin-Joël Cool et Eugénie Beaudry. La pièce est présentée à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 23 avril 2016.
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Par Maxime Cormier
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