ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Charlotte Léger
Nul besoin de mise en scène ou de décors, de costumes ou de grande distribution flamboyante: deux tabourets, deux lutrins et deux acteurs de grand talent suffisent amplement pour livrer le message de 84, Charing Cross Road, d’autant plus qu’il est très simple, car il invite simplement, sans le nommer explicitement, à se plonger dans un livre quel qu’il soit, et à en apprécier toutes les subtilités.
Récit authentique d’une correspondance écrite entre Helene Hanff, une auteure américaine passionnée de littérature, et Frank Doel, un employé de la librairie Marks & Co. de Londres, située au 84, Charing Cross Road, le livre du même nom relate une vingtaine d’années de lettres échangées, comprenant des demandes de toutes sortes pour que Frank trouve des livres rares à Helene, mais aussi des marques d’affection, des remerciements pour des cadeaux envoyés et des invitations tantôt à prier pour que les Dodgers de Brooklyn remportent le championnat, tantôt pour encourager Helene à visiter l’Angleterre et la famille Doel.
À travers les échanges datés, qui sont de plus en plus espacés à mesure que le récit progresse – sans doute rapprochés au début pour bien instaurer le contexte historique, le genre de demandes d’Helene Hanff et les caractères et personnalités des personnages, puis de plus en plus espacés, afin d’arriver à couvrir en entier la longue période de correspondance –, il est très touchant de saisir non seulement l’évolution des demandes de la femme, mais aussi l’évolution de la relation entre les deux correspondants inconnus, l’affection qui naît, de lettre en lettre, ainsi que les nombreux élans de générosité de la part d’Helene, d’abord envers Frank et ses collègues du Marks & Co., puis envers Frank et sa famille.
Avec leurs voix si particulières et enveloppantes, Evelyne de la Chenelière et James Hyndman ont tout de suite réussi à captiver et à interpeller le public avec ce récit à la fois comique et attendrissant. Les deux très à l’écoute l’un de l’autre, il faisait plaisir de voir de la Chenelière rire, parfois aux mots de Hyndman, parfois de la réaction du public à la suite de ses propres paroles, alors que son complice, lui, prenait bien son temps, savourant pleinement chaque lettre lue et laissant bien le récit se développer et le public constater l’épanouissement de la relation entre Hanff et Doel, en espaçant les lectures et insistant sur certains passages ou même sur certains silences.
Si le plaisir qu’avait Evelyne de la Chenelière à se livrer à un tel exercice, à lire ces lignes et à découvrir la réaction du public était évident, l’auditoire a très certainement ressenti autant de bonheur à découvrir ce récit truffé de déclarations d’amour au livre et à la littérature. Les reliures dorées, les couvertures dures, les livres usagés qui s’ouvrent tout seuls à une certaine page – certainement la page la plus consultée par le précédent lecteur, ce qui est très révélateur! –, tant de petits détails mentionnés par Helene Hanff à son interlocuteur londonien, et qui nous donnent envie, nous aussi, de redécouvrir le plaisir de la lecture et la beauté des livres, de façon plus générale. Si 84, Charing Cross Road ne donne pas nécessairement envie de lire les nombreux ouvrages nommés dans les lettres échangées, car ils ne sont en aucun cas présentés et on ne connaît pas forcément leurs auteurs, la lecture a néanmoins donné envie de prendre le temps de voir la beauté qui se cache derrière les livres, leur histoire, leur bagage, et d’apprécier l’acte de lire, ainsi que les visites chez un libraire.
Davantage que ça, cette lecture aura aussi donné envie de se plonger dans cet ouvrage épistolaire, un véritable éloge au métier de libraire et à la lecture en tant que tel, ce qui prouve que James Hyndman et son complice à la recherche et à l’animation, Stéphane Lépine, ont une fois de plus accompli leur mission avec ces «Longs courriers».
Le prochain rendez-vous prévu est une lecture de Lettre au père de Franz Kafka le 18 avril 2016.
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de la rédaction