LittératureRomans québécois
Crédit photo : Leméac Éditeur
Frédérick essaie tant bien que mal de prendre ce qui lui arrive avec philosophie, mais quelque chose en lui se révolte. Voir que sa rémunération vaine et superfétatoire donne raison aux animateurs de radio démagogues le met en rogne. Pourtant, on imagine mal cet homme opiniâtre poser un geste d’éclat irrationnel. Lié de manière indirecte seulement à son refus de la situation, le malheur personnel qui le frappe se superpose à sa déception professionnelle pour décupler le sentiment d’impuissance et mettre en perspective le peu d’emprise de l’homme sur sa vie.
L’austérité pour les nuls
Toujours inspiré par l’actualité sociale, après Mort-Terrain paru en 2014 qui s’était nourri du printemps érable et des autres enjeux faisant rage à la même période, Biz schématise ici le climat d’austérité actuel par la fusion du ministère des Structures et celui de la Réorganisation, fusion dont les employés comme Frédérick font les frais. Lui annonçant son transfert aux Archives (transfert aussi déprimant concrètement pour un analyste que symboliquement pour un homme de quarante ans), le directeur des ressources humaines tente en vain de se montrer compatissant. «Si vous avez la moindre question ou le moindre problème, ma porte vous sera toujours ouverte. Adieu, monsieur Limoges.»
Le personnage navigue d’abord entre une réalité familiale marquée par l’anecdotique et la dystopie de la bureaucratie gouvernementale. Mais après la descente au sous-sol de la vie professionnelle, où il fait l’expérience de l’absurde oisiveté, il connaît la descente au sous-sol de la vie familiale, où il fait l’expérience de l’absurde vindicte sociale sur la toile. Au propre comme au figuré, c’est l’obscurité perpétuelle. Une entreprise d’autodestruction se substitue alors à ce qui s’annonçait comme une lutte contre une machine étatique compressive.
«J’assiste en direct à la reconfiguration de ma personnalité en croque-mitaine instable et violent. Une piñata gorgée de sang, sur laquelle il est désormais légitime de se défouler jusqu’à l’éviscération complète. […] Ultime schizophrénie virtuelle, certains de mes avatars s’invectivent entre eux. En attisant la haine contre moi, je me jette moi-même en pâture aux lions du Colisée. Rome brûle. Et, devant mon écran, je joue de la lyre.»
Une barque qui garde le cap
D’un point de vue littéraire, le tsunami qui chavire la barque de Frédérick forme un arrimage étrange et étonnant avec la plume réfléchie et pesée de Biz. Si l’écriture se tient loin de l’émotivité, le récit arrive néanmoins à transmettre cette compassion que le personnage revendique et réclame. Moins cérébral que La Chute de Sparte, Naufrage est traversé par une humanité faisant contrepoids au cynisme qui guette. Et tandis que l’évènement dramatique qui survient plonge le lecteur dans le doute quant à la suite du trajet, l’auteur tient sa barre et manœuvre pour mener son navire à bon port. Comme le personnage ayant sombré apprend à respirer sous l’eau plutôt que de se noyer, le lecteur compose avec l’impossibilité de s’épancher et finit par apprécier la cohérence singulière qui tient le roman.
«Naufrage» de Biz, Leméac Éditeur, 136 pages.
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de la rédaction