ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Marianne Duval
Si la communauté franco-ontarienne était fière et impatiente d’assister à cette première mondiale, c’est que ce projet rassemblait, du moins pour la majorité, des créateurs d’ici, et ce, autour d’un texte d’ici. Et pas des moindres, puisque son auteur Jean Marc Dalpé s’est vu remettre le Prix du Gouverneur général pour ce premier roman, paru en 2000.
Sur scène se dresse un habitacle imposant composé de planches de bois vieillies et assemblées sur une structure de ferraille. Ce qui pourrait être l’image d’une grange délabrée verra renaître les souvenirs de Rose, Marie, Marcel et Joseph dans un récit polyphonique. Au cours d’une décennie, on écoute les témoignages de chacun, sans penser qu’est en train de se dessiner sous nos yeux une intrigue digne des tragédies grecques…
Marcel est fou amoureux de Marie, une jeune femme de 17 ans, qui vit avec son oncle Joseph et sa tante Rose. S’il en est amoureux, il semblerait que Joseph le soit aussi. La ligne est mince avant qu’il ne franchisse la ligne interdite… Résistera-t-il à ce désir incestueux? De quel meurtre fait mention Marcel depuis sa prison et d’où provient la rage qui habite Rose?
On vous avait prévenu que ce ne serait pas une comédie légère. Quoiqu’ils arrivent, dans des pics particulièrement dramatiques, à nous faire décrocher un sourire en coin; c’est déjà un début. Et ce n’est pas tant la finalité de l’intrigue qui est intéressante, bien mais les portraits psychologiques des personnages qui se révèlent petit à petit aux spectateurs.
Annick Léger, qui interprète Rose, se distingue admirablement, incarnant un personnage plein de détresse qui ne fait que subir les actes de chacun des protagonistes et la fatalité de la vie. Rage contagieuse, orgueil et élégance, détresse d’une noyade… les portraits émotionnels se succèdent, et le public reste accroché à chacune de ses paroles, et se noie même avec elle. Et que dire de David Boutin, l’oncle Joseph, qui offre un jeu de très haut niveau où l’obsession qui l’habite et ses pulsions sexuelles sont livrées avec une authenticité déconcertante.
On se questionne sur les nuances entre le pardon et l’oubli, entre la mémoire et les souvenirs… et au cas où la poésie deviendrait trop pesante, deux villageois passent de temps à autre sur la scène pour juger de l’avancée des évènements et détendre l’atmosphère en jugeant ce qui se déroule, usant et abusant des «oh ben bonyeu d’bonyeu».
De la concentration, il en faut un peu. Le texte est dense, et le débit, athlétique. Les spectateurs, s’ils croquent à fond dans ce texte, ne se perdront à aucun instant. On trouve appréciable de se faire raconter une histoire les yeux dans les yeux, à la manière d’un conte. Ce jeu de distanciation des comédiens leur impose tout un défi, mais rythme l’histoire d’une façon essentielle.
La pièce «Un vent se lève qui éparpille» est présentée au Centre national des Arts d’Ottawa (CNA) jusqu’au 13 février 2016.
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Par Marianne Duval
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