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Crédit photo : Cohen Media Group
Avec Mustang, la réalisatrice Deniz Gamze Ergüven voulait montrer ce que c’était que d’être une femme dans la Turquie patriarcale d’aujourd’hui. Alors que le pays a accordé le droit de vote aux femmes en 1934 (plusieurs années avant le Québec, en 1940, et la France, en 1944), que l’interruption volontaire de grossesse (IVG) a été autorisée jusqu’à la dixième semaine de grossesse en 1983 et que le mouvement des femmes était une véritable force dans les années 1980 et 1990, l’arrivée au pouvoir en 2003 de l’AKP et de Recep Tayyip Erdoğan signifie également une remontée du patriarcat.
En 2012, Erdoğan affiche sa volonté de rendre l’IVG illégale après la quatrième semaine de grossesse, la comparant ainsi à un meurtre, et exhorte la population à faire trois enfants ou plus, l’accroissement de la population devant permettre à la Turquie de se placer parmi les dix économies les plus puissantes au monde. Aux dires de la réalisatrice, le gouvernement actuel est en train de transformer les écoles laïques en écoles religieuses, tuant ainsi la laïcité à sa source. Si les femmes ont déjà eu beaucoup de droits, aujourd’hui elles ne sont définitivement pas les égales des hommes, le code d’honneur ayant une grande importance. Plus de la moitié des féminicides seraient commis par les maris de ces femmes, et le gouvernement affirme, se basant sur le Coran, que la femme ne peut être l’égale de l’homme, puisque la religion n’a défini qu’un seul rôle pour la femme, soit celui de la maternité.
C’est donc dans ce contexte que prend place Mustang, film germano-franco-turc, qui représentera la France dans la course à l’Oscar du meilleur film en langue étrangère.
Bien que l’histoire soit profondément dramatique, on ne peut qu’admirer le courage de ces jeunes filles qui n’ont jamais dit leur dernier mot et qui sont prêtes à tout pour défier les règles imposées par leur oncle. Plusieurs y verront une ressemblance évidente avec le Virgin Suicides de Sofia Coppola, mais la réalisatrice, qui cosigne ici le scénario en compagnie d’Alice Winocour, a affirmé s’être plutôt inspirée d’une expérience personnelle, ajoutant que contrairement aux personnages qui n’acceptent jamais ce qu’on leur fait subir, elle-même a mis plusieurs années avant de commencer à se rebeller.
Évidemment, aucune vedette dans ce très beau film, mais plutôt un attachant quintette déniché par la réalisatrice suite à un casting sauvage. Après avoir rencontré des dizaines de jeunes femmes en audition, elle a formé des groupes, l’important étant de voir comment elles agissaient entre elles. Lorsqu’elle a rencontré Günes Nezihe Sensoy (Lale, la benjamine), Ilayda Akdoğan (Sonay, l’aînée), Tuğba Sunguroğlu (Selma, la deuxième), Elit Iscan (Ece, la troisième) et Doğa Zeynep Doğuslu (Nur, la quatrième), elle a su qu’elle avait trouvé ses cinq actrices. En plus de se ressembler physiquement, elles agissaient entre elles naturellement, comme le feraient des sœurs.
C’est donc vraiment sur ces jeunes non-actrices que repose tout le film, qui prend parfois presque des airs de thriller. On se surprend à espérer qu’elles réussissent à échapper à la surveillance de leur oncle et de ses amis afin de se faire bronzer dans le jardin, de sortir avec leurs copains le soir, ou d’aller assister à ce match de foot historique où le public n’était composé que de femmes et d’enfants. La réalisatrice s’est d’ailleurs inspirée d’un fait réel pour cette scène magnifique où pour la première fois depuis des semaines, les filles jouissent d’une certaine liberté. À la fin, on souhaite de tout cœur aux deux plus jeunes de réussir à se rendre à Istanbul, qui représente le rêve, le but ultime à atteindre.
Et le titre dans tout cela? Mustang fait référence à la liberté des chevaux sauvages, comparant les cinq jeunes femmes à ces animaux indomptables, qui cavalent ensemble, en troupeau, à travers le village, leurs cheveux longs toujours libres n’étant pas sans rappeler des crinières.
Présenté lors de la Quinzaine des réalisateurs de Cannes en mai 2015, Mustang arrive enfin comme un vent de fraîcheur et définitivement de liberté sur nos écrans cette semaine. Un film touchant, émouvant et qui ne devrait laisser personne indifférent.
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Par Cohen Media Group
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