ThéâtreEntrevues
Crédit photo : Maude Chauvin
«C’était le choix le moins raisonnable, le choix le plus intéressant, le choix le plus apeurant, le choix le plus excitant», lance d’emblée le jeune comédien, auteur et metteur en scène, lorsqu’on le questionne sur le lieu choisi pour présenter son spectacle. Celui qui avoue s’émerveiller devant n’importe quel terrain sportif éclairé aux lampes de sodium indique par le fait-même que ce terrain de jeu était également «un choix logique dans la direction artistique, dans le fait de vouloir sortir des théâtres, de vouloir sortir de Montréal, et de ne pas avoir d’argent pour une scénographie».
C’est effectivement peu commun, aujourd’hui, de faire du théâtre en plein air, comme au début de cet art. Il tiendra toutefois à spécifier qu’il ne fait pas ça pour être différent des jeunes créateurs ou de ce qui se passe en ce moment. «J’ai beaucoup de choses qui me titillent par rapport au théâtre, et je me bats contre ça, mais je ne me bats pas en disant ‘‘Regardez comme ça, ce n’est pas bon’’; je me bats en disant ‘‘Regardez comme ça, c’est une possibilité’’, en offrant autre chose, en allant vers autre chose».
Il faut dire qu’avec un mentor comme le chorégraphe et danseur Dave St-Pierre – qui signe les chorégraphies et agit à titre de conseiller – Philippe Boutin puise à même la source du désir de se déstabiliser. Rencontré en troisième année à Lionel-Groulx lors d’un stage avec la compagnie de St-Pierre, ce dernier offre rapidement au jeune comédien de faire partie de sa troupe, et l’amitié se met vite de la partie. «Écoute, les shows de Dave, c’est pas juste de la danse, c’est de l’art! C’est un privilège immense de connaître ce créateur-là, de le voir aller et de faire ses shows… moi, ma vie artistique est faite avec ce gars-là!».
St-Pierre apporte donc une touche de passion supplémentaire au spectacle Détruire, nous allons, en chorégraphiant entre autres des joutes de football. «Voir des gars jouer au football, je trouve ça théâtral. Ce sont carrément des chorégraphies qu’ils font, les gars, et il y a quelque chose comme de la passion dans la confrontation entre les deux équipes». Il s’agissait donc d’un choix tout logique pour Boutin de planter son spectacle sur un terrain de football, et «c’est ça, je pense, qui fait les bons spectacles: ce sont les bons choix. Ce sont des prises de décisions drastiques, parfois pas raisonnables, mais excitantes».
Mais comment occuper un si grand espace, et comment ne pas perdre le son, si rien ne le retient? «Pour moi, le texte n’est pas la chose la plus importante. C’est tout simplement d’être là. D’être là ce soir-là et de vivre cette affaire-là. Parce que dans la vie, ce n’est pas vrai que tu entends tout le temps tout, ce n’est pas vrai que tu comprends tout le temps tout.», philosophe celui qui indique tout de même que les estrades sont montées plutôt en hauteur qu’en largeur, pour concentrer le son malgré tout. Pourtant, ça ne devrait pas être un problème, puisqu’ils seront presque quarante comédiens et danseurs à occuper le terrain de jeu, presque comme un chœur grec, et «on pourrait dire que Christophe [Payeur], le personnage de Claude, est le Coryphée de tout ça».
C’est parce qu’il est le centre de Détruire, nous allons, ce Claude, interprété par «le meilleur comédien de notre génération!», qui est en amour avec Félicitée (Marie-France Marcotte), qui rencontrera plutôt le frère de Claude, Christian Grandcheval, interprété par le grandiose Emmanuel Schwartz. Avec Jean-François Casabonne pour brasser tout ça en sombre Richard III, la pièce est un grand drame entourant deux âmes sœurs qui ne sauront se rejoindre comme il se doit.
Inspirée de l’histoire du poète et dramaturge Claude Gauvreau et de sa muse, Muriel Guilbault, le récit de base est agrémenté de nombreux textes classiques, passant de Cyrano de Bergerac (Rostand) à Richard III (Shakespeare), en passant par Camus et quelques monologues écrits par Boutin lui-même. «Je me considère plus comme un poète que comme un dramaturge. Je n’écris pas des pièces de théâtre, j’écris des spectacles. J’ai du fun à faire ça», explique-t-il en référence aux extraits qu’il emprunte et réécrit – «remastérise» – à sa façon, tout en ajoutant ici et là des clins d’œil à ses propres références, comme Léo Ferré et Quentin Tarantino.
«Claude est véritablement en amour: c’est Cyrano! Et Christian Grandcheval est son Christian. Pour moi, c’est important de rendre [ces textes] accessibles à ma manière. Parce que peut-être que pour les Français, ça va être plus accessible Rostand, mais pour des Québécois, ça peut peut-être être plus accessible ma version de Cyrano, dans Détruire, nous allons.». En reprenant des scènes qui l’ont profondément touché, tout en gardant le fil conducteur de sa grande tragédie romantique, Philippe Boutin arrive à livrer un spectacle «plein d’amour, plein de sincérité, et orchestré par une équipe fabuleuse, vraiment».
Celui qui parle avec passion non seulement des textes de Cyrano ou de Richard III, mais aussi de l’amour – «C’est tough, l’amour. C’est une des affaires les plus incompréhensibles, mais une des affaires les plus belles, aussi. C’est tellement un beau sujet. C’est tellement le sujet le plus important.» – se questionne sur la façon dont l’amour au masculin est abordé. Est-ce réservé aux moments où, après quelques bières, on se sent un peu plus sensible et fragile? «Jodorowsky, il a dit que pour être un bon créateur, il faut que tu assumes entièrement ton côté masculin, mais ton côté féminin, aussi. Et ce que j’associe au côté féminin, c’est un peu cette sensibilité-là. Accepter cette sensibilité-là, accepter la fragilité en tant qu’homme».
Il n’y a pas à dire, le créateur connait bien ses classiques et possède une culture impressionnante. On l’écouterait pendant des heures l’écouter de son deuxième mentor, Alejandro Jodorowsky, dont les écrits le guident pour sa prochaine création, The Rise of the Bling Bling, où le nombre et l’excès seront toujours parties intégrantes, mais aussi l’humour, le rêve et le positivisme.
En attendant cette deuxième offrande, on ira vivre dans la poésie avec Philippe Boutin et son chœur grandiose orchestré par son premier mentor, Dave St-Pierre, ce samedi 7 juin, sur le terrain de football du centre sportif Édouard-Montpetit, dès 8 h 30, au coucher du soleil. Et si vous le croisez, parlez-lui de Jodorowsky!