LittératureRomans québécois
Crédit photo : Jimmy Beaulieu (illustration de la couverture) et Julie Artacho (photo de Neil Smith)
Dès la première page, le lecteur apprend que le protagoniste du roman, Oliver Dalrymple, est mort en 1979 dans son école secondaire Helen Keller. Plus précisément devant le casier 106, le sien. Il est maintenant atterri au Village, paradis de ceux qui ont fait leur courte vie aux États-Unis, dans lequel les gens ne vieillissent pas physiquement et dont le dieu se nomme Zig.
Le jeune garçon frêle, dont la blancheur de sa peau explique son surnom Boo, est un passionné des sciences. La table de Mendeleïev n’a plus de secrets pour lui. Sans amis, doté d’une grande intelligence malheureusement impopulaire, Oliver était la cible d’intimidateurs prêts à tout pour l’anéantir.
Même si le livre de Neil Smith est parsemé de punchs, il est possible de portraiturer grossièrement ce Village, véritable personnage. Comme Boo le rappelle à plusieurs reprises, le paradis représenté ici est tout sauf celui que l’on nous a présenté dans l’imaginaire collectif. C’est un lieu pour le moins étrange: les divers bâtiments sont réparés au fil du temps sans l’aide de personne, l’atmosphère s’avère un peu grise, les lieux sont glauques, l’architecture et l’urbanisme ont une apparence assez modeste. Paradoxalement, avec ces murs de béton érigés, on a l’impression d’être dans un environnement carcéral, à des années-lumière du paradis blanc, lumineux et reposant tant fantasmé par plusieurs.
On va découvrir, tout comme Oliver, des personnages qui peuplent cet au-delà bien spécial. On retient Thelma Rudd, bienfaiseuse, Esther Haglund, une naine au caractère fort, Reginald Washington, le président des bienfaiseurs ainsi que Johnny Henzel, un autre jeune garçon décédé à l’école secondaire Helen Keller dans l’Illinois en même temps que Boo… S’en suivra une véritable recherche du coupable qui les a propulsés au paradis.
Outre son inventivité débordante, l’auteur de Boo parvient à captiver le lecteur grâce aux évènements antérieurs qui se dévoilent peu à peu ainsi qu’à des personnages peu communs cohabitant dans un endroit dont l’étrangeté est presque indescriptible.
Les villageois, de prime abord, pas toujours attachants, voire bizarroïdes, avec leurs manières et leur langage ordurier, nous émeuvent lorsque la situation s’y prête. On tombe sous le charme sans aucun doute de Boo, mais aussi de Johnny. La relation entre les deux Américains, surtout après la deuxième moitié du roman, se cristallise et nous réserve des moments dramatiques extrêmement touchants. Et cela n’a rien à voir avec l’émotion à l’eau de rose!
De surcroît, l’écrivain arrive à nous surprendre en intégrant, en filigrane, des thèmes actuels, mais souvent exploités maladroitement par certaines productions culturelles: l’intimidation, la violence entre les individus, les armes à feu, la peine de mort, la vie après la mort, la spiritualité, etc. En plus, il soumet à son lecteur des déchirements moraux qui pénètrent l’esprit et qui nous questionnent sur nos propres préjugés et convictions. Tout cela bien sûr sans que ce soit réellement évident ou agaçant.
Par ailleurs, il est intéressant de constater que dans les bibliothèques du Village, la fiction littéraire prend toute la place et le documentaire est absent. Idée réfléchie qui fait écho au fait qu’Oliver Dalrymple affirme ne pas connaître vraiment les œuvres qui fournissent le développement de l’imaginaire. Lui qui ne dévore que les bouquins sur les sciences. C’est aussi un rappel que le livre de Neil Smith est un monde inventé où l’originalité est légion.
En ce qui concerne la forme, la maîtrise des dialogues entre les personnages, la limpidité ainsi que la construction du récit global qui se précise au fil des pages confirment le grand travail de conception et d’écriture de l’auteur, pour lequel il s’agit d’un tout premier roman… Il est rare que l’on souligne autant le talent d’un auteur qui présente sa première œuvre livresque, bien qu’il ait pondu des nouvelles littéraires remarquées.
Avec autant de qualités, le premier roman de Neil Smith nous tient en haleine avec ces débats intérieurs et procure de vives émotions loin d’être artificielles. Une plume à surveiller de très près.
Boo, Neil Smith, Éditions Alto, traduit de l’anglais par Lori Saint-Martin et Paul Gagné, 2015, 400 pages, 29,95 $.
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de la rédaction