MusiqueDans la peau de
Crédit photo : Courtoisie
1- Rédac’ en chef musique du magazine culturel Les Inrocks, on peut dire que ton quotidien vibre au rythme d’un cortex musical sans fin. À quel moment as-tu décidé d’investir ta plume au service de la musique et comment s’est déroulé ton parcours dans ce marché ultra saturé?
«L’obsession remonte à l’enfance, grâce à des fils d’amis de mes parents, plus âgés que moi, qui me font découvrir tout ce qui constituera ensuite mes fondations. J’ai 12 ou 13 ans, et je connais par cœur les chansons de Lou Reed, Bowie, du Velvet, de John Cale, d’Eno, mais aussi de Kraftwerk, de Tangerine Dream. Ils font le tri pour moi, me font des cassettes, puis je commence à acheter des disques, beaucoup. Si bien que quand débarquent les radios pirates, puis libre, je me lance, je pense qu’il est criminel de garder pour moi ces chansons que peu de gens connaissent. Je fais ensuite des études de journalisme, pars vivre à Manchester pour être au plus près de la musique qui m’obsède. J’ai, depuis l’enfance, placé les rock-critics sur un tel piédestal que je ne m’imagine pas une seconde devenir l’un d’eux. Ils me semblent si énormes, si cultivés, si radicaux, si décalés que je pense n’avoir aucune place parmi eux. Jusqu’au jour récent où une légende anglaise m’a invité chez lui et m’a fait porter des chaussons pour ne pas rayer son plancher!!! Bref, je deviens journaliste, en pensant que la musique resterait une passion distincte. Jusqu’à ce que je rencontre Christian Fevret, qui vient de créer Les Inrocks. Il n’y avait qu’un métier pour moi et je l’ai créé. Et ce n’est pas rock-critic, je n’imprime pas la légende.»
2- Nous n’avons qu’à te suivre hebdomadairement pour nous rendre compte que tu as la chance d’interviewer de nombreux artistes en France comme à l’international. Quelles ont été tes rencontres les plus marquantes, positives comme négatives?
«Les rêves d’enfants qui se concrétisent, en se souvenant de sa petite chambre de province avec tous ces artistes punaisés au mur… Donc, interviewer longuement Bowie, disséquer mon album préféré, Berlin, avec Lou Reed ému, rire aux éclats avec Morrissey, marcher dans les rues avec les Stone Roses, découvrir Miossec dans un tas de cassettes envoyées comme des bouteilles à la mer, traîner dans Bristol avec Massive Attack, suivre Jeff Buckley aux États-Unis, parler de Kraftwerk et Stereolab avec Pharrell Williams, entendre Lana Del Rey me chanter a capella ses nouvelles chansons, faire les boutiques avec Barney de New Order, faire la première longue interview d’un groupe inconnu: Pulp… Chaque interview est un moment très intense, où je vais avec un trac terrible, qu’il s’agisse d’une superstar ou d’un groupe inconnu. Il y a tant de respect pour ceux qui me touchent à ce point, que ce soit une chanson ou 10 albums. Je prépare mes interviews pendant des jours. Alors des fois, on fait les frais de relations désastreuses entre un label et un artiste. Comme cette fois où je suis allé exprès à San Francisco pour recueillir uniquement le mépris et le silence à chaque question que je posais à un groupe que j’adore: Mazzy Star.»
3- Le magazine Les Inrocks, dit de gauche avec un angle généraliste, jouit désormais d’une reconnaissance aux quatre coins du globe depuis sa fondation en 1986. Quelles sont vos qualités qui vous démarquent des autres médias français?
«Peut-être moins de cynisme par rapport à ce qui est neuf, encore balbutiant, plus de curiosité, moins de certitudes blasées. Notre façon de mélanger les genres a longtemps été unique, les médias anglais étaient perplexes quand on les rencontrait: je me souviens des vannes goguenardes d’un rédac’ chef londonien à qui je montrais notre couve avec Maurice Pialat. Il ne comprenait pas qu’on affiche un barbu de 50 ans. Son journal à lui, recroquevillé sur la musique blanche et anglaise, n’existe plus.»
4- À l’heure où on traverse une crise des médias et un virage numérique quasi obligé, quelles sont les stratégies adoptées par Les Inrocks pour être constamment dans le vent et continuer de rejoindre votre communauté de fans?
«Immédiatement, on a senti à quel point internet allait être pour nous un trésor, pas un ennemi: même si la frustration a du bon parfois, pouvoir tout entendre, tout écouter, tout juger par soi-même est une avancée prodigieuse. Le temps que je passais dans le bac nouveauté des disquaires, je le passe, au centième, sur Soundcloud, etc. Notre site, et notre laboratoire de découvertes de jeunes talents inRocks Lab, sont en veille permanente. Nous profitons de notre réseau très large pour ramener de nouvelles propositions musicales du monde entier, pour filtrer. Pour des fanatiques de musiques, l’époque n’a jamais été aussi palpitante et riche.»
5- Comme tu es probablement l’une des personnes les mieux placées pour nous forcer à se remplir les tympans de bons sons, quels sont tes 10 bons coups musicaux à retenir pour l’automne? Le Québec est gourmand de découvertes!
«J’adore l’électro du Français Petit Biscuit, la pop anglaise du one-man band Declan McKenna, la disco grecque de Monika, le rock du désert d’Imarhan, l’étrange chanson française de O ou Flavien Berger, la pop lyrique des Anglais de Blossom, les chansons renfrognées des Anglais de Chartreuse, la soul étrange de Jack Garratt, les chansons tordues de OK Lou, le groove irrésistible des Londoniens de Formation, le rap morose de PLN (à suivre)…»
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Par Gracieuseté Les Inrocks