CinémaCritiques de films
Crédit photo : Les Films Séville
Après J’ai tué ma mère, Les amours imaginaires et Laurence Anyways, voilà enfin Tom à la ferme. Enfin, parce qu’il avait été présenté à la Mostra de Venise et au Festival du nouveau cinéma et que sa sortie en salles a été repoussée en 2014… L’œuvre, adaptée de la pièce éponyme du dramaturge Michel Marc Bouchard, raconte l’histoire de Tom (Xavier Dolan) qui doit se rendre dans le monde rural québécois, loin de la vie urbaine, afin d’assister aux funérailles de son défunt amoureux. Là-bas, on ne connaît pourtant pas la nature de sa relation avec l’homme décédé. Le bourreau du professionnel publicitaire, le frère du mort se prénommant Francis (Pierre-Yves Cardinal), profitera de son pouvoir physique comme psychologique pour jouer avec sa jolie victime, Tom.
Le quatrième film du cinéaste traduit bien sûr une réalité universelle, celle du mensonge social et familial, mais laisse surtout place aux liens paradoxaux que sont la torture et l’affection dans une relation de bourreau à victime (le fameux syndrome de Stockholm en quelque sorte). D’où la forme du thriller prend sa source.
Sur le plan esthétique, il est impossible de passer à côté de la très grande maîtrise de l’image du cinéaste, offrant une belle variété de plans et d’échelles de plans, et du même coup, une cohérence visuelle d’un bout à l’autre du métrage. On reconnaît les plans fixes avec ou sans personnages, les images de la cuisine ou du corridor comme dans Laurence Anyways. Dans Tom à la ferme, les espaces sont servis par la réalisation de Dolan. Une utilisation appropriée de l’éclairage, de l’ombre et la lumière. Plusieurs ont évoqué Hitchcock au sujet de ce film; en effet, l’ambiance générale, les couleurs sombres ainsi que l’aspect incertain des lieux tout comme la forme narrative du suspense, rappellent l’univers du cinéaste d’origine britannique.
En ce qui concerne les liens entre Tom et Francis, il faut dire que les deux acteurs qui interprètent ces personnages déstabilisants évoluent brillamment dans cet espace secret qui les relie. La violence envers l’amoureux du défunt devient presque désirée, jouissive et excitante, surtout dans la scène dans laquelle les deux hommes sont dehors, bourrés, et que Francis serre de plus en plus fort la gorge de Tom, à la demande de celui-ci. Il se dégage une inéluctable sensualité, perceptible chez le spectateur presque de manière épidermique, alors que la scène s’avère assez violente. Dans cette même lignée, la scène de danse (le tango!) est très intéressante d’un point de vue visuel, mais aussi sur le plan des dialogues. Francis y révèle ses insatisfactions quant à sa vie actuelle et ses désirs (que sa mère soit placée ou devrait mourir, qu’il est seul…). Même des compliments de la part de Francis au sujet des pas de danse de Tom sont entendus. L’image magnifique au ralenti de Tom lorsque sa tête est penchée dans un pas de danse ramène cette dualité beauté-souffrance dans ce type de relation.
Si la bande-annonce présente la forme du thriller, bien présente dans le film, la dernière œuvre du réalisateur laisse percer des tons différents. S’agit-il de ruptures de tons? En fait, on aime les oppositions drôle/poignant, mais parfois on se demande si l’arrimage entre les deux tons est réussi, qui peuvent laisser voir des regards interrogatifs sur les visages des cinéphiles. Aurait-il mieux fait de ne jouer que sur la partie poignante, donc l’intensité dramatique?
Bien que comparer cinéma et théâtre se fait difficilement, puisque les créateurs ne travaillent pas avec les mêmes considérations spatiales, narratives et évocatrices, il faut souligner que la pièce de Michel Marc Bouchard, qui oscille aussi avec ces deux tons, drôle par moments et violente en général (physiquement et verbalement) semble plus claire que dans le film. Le personnage de la mère du défunt, Agathe (Lise Roy), qui s’interroge dramatiquement à haute voix dans le salon en compagnie des deux hommes et de Sara (Evelyne Brochu), porte plus dans la pièce jouée que sur le grand écran. Le niveau de jeu est peut-être plus compréhensif.
En marge de ces interrogations critiques, Tom à la ferme est sans aucun doute le film le plus abouti de Xavier Dolan. De belles images sombres, un mélange adéquat de cadrages serrés appuyés lors d’échanges très intenses et de plans avec beaucoup d’espace au-dessus de la tête, une utilisation de la caméra à l’épaule justifiée qui intensifie les moments troublants, etc. De plus, les images du paysage rural assombri soulignent le caractère inquiétant du suspense. On reconnait le regard cinématographique, voire pictural de Dolan. Sa capacité à créer des atmosphères bien particulières, selon ce qui est désiré, est décidément bien rendu.
L'avis
de la rédaction